Un associé de société civile autorisé à s’en retirer ne peut plus céder ses parts à un tiers
Une fois engagé dans une procédure de retrait de la société acceptée par celle‑ci, un associé ne peut plus céder ses parts à un tiers sans méconnaître la procédure en cours.
Un associé d’une société civile est autorisé à s’en retirer par décision de l’assemblée générale. Un expert, désigné à sa demande, évalue ses droits sociaux quatre ans plus tard. L’associé notifie alors à la société et aux autres associés son intention, valant demande d’agrément, de céder ses parts à un tiers. La SCI ayant refusé, il la met en demeure de payer la somme correspondant à l’évaluation de l’expert. Plus de six mois après, il cède ses parts au tiers.
La Cour de cassation juge que la procédure de cession des parts à un tiers, mise en œuvre en méconnaissance de la procédure de retrait en cours acceptée par la société, devait être annulée. En effet, l’associé s’était engagé dans une procédure de retrait avec rachat de ses parts, acceptée par la société et dont l’échec n’avait pas été constaté, il lui incombait donc de mener cette procédure à son terme.
À noter
1. Un associé de société civile peut se retirer de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par les autres associés. L’associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d’accord amiable, conformément à l’article 1843‑4 du Code civil (C. civ. art. 1869). C’est cette procédure qui a été mise en œuvre dans l’affaire commentée. Mais l’article précité, qui prévoit les conditions d’exercice et les suites de la procédure de retrait, est muet sur le cas où cette procédure n’irait pas à son terme par suite de l’absence de rachat des parts par la société. Quel sort réserver à la décision de l’associé de s’engager dans une autre voie en cédant, comme en l’espèce, ses parts à un tiers ? La Cour de cassation répond ici pour la première fois à cette question par un arrêt, dont la motivation lapidaire appelle deux observations.
Tout d’abord, la procédure de retrait doit être menée à son terme par l’associé, ce qui implique qu’il doit en poursuivre l’exécution par toutes les voies de droit à sa disposition, notamment en obtenant, en cas de désaccord sur la valeur de ses parts, la désignation d’un expert chargé de les évaluer et en demandant leur rachat forcé en justice lorsque la société s’abstient de procéder au rachat dans les délais prévus par les statuts ou, à défaut, dans un délai raisonnable. Cette obligation de mener la procédure à son terme est subordonnée à deux conditions : la procédure doit avoir été acceptée par la société et son échec n’a pas été constaté. L’acceptation par la société résultera, le plus souvent, de l’autorisation du retrait donné (comme en l’espèce) par les associés. Et ce n’est qu’à défaut d’avoir pu obtenir le rachat forcé des parts, une fois l’échec du rachat judiciairement constaté donc, que l’associé sera autorisé à sortir de la société en s’engageant dans la seule autre voie qui lui reste : la cession de ses parts à un tiers. On peut regretter la lenteur et le coût engendrés par cette solution (surtout pour l’associé).
Ensuite, à défaut d’avoir respecté ces prescriptions, la « procédure de cession » est nulle. C’est sans doute le point de l’arrêt commenté qui suscite le plus d’interrogations : quelle est la cause de cette nullité ? Elle ne semble pas pouvoir être fondée sur l’article 1844‑10, al. 3 du Code civil (nullité pour violation d’une disposition impérative du Code civil sur les sociétés ou pour l’une des causes de nullité des contrats en général) car ce texte ne concerne que la nullité « des actes ou délibérations des organes de la société », auxquels la notification de la cession à un tiers critiquée, qui n’émane pas d’un organe social mais de l’associé, ne saurait être assimilée.
Dans la mesure où la procédure suivie aboutit à la cession des parts sociales au tiers, peut‑on considérer que ce n’est pas tant la procédure qui est nulle que la cession ? Auquel cas, les seules causes de nullité envisageables sont celles prévues par le droit commun des obligations (C. civ. art. 1128 depuis la réforme du droit des contrats ; art. 1108 avant cette réforme) : la cession des parts est, selon qu’elle a été conclue après ou avant le 1er octobre 2016 (date d’entrée en vigueur de la réforme), soit dépourvue de contenu licite (cf. art. 1128, 3°) soit motivée une cause illicite (cf. art. 1108, dernier al.) puisque mise en œuvre pour ne pas avoir à respecter la procédure de retrait, acceptée par la société.
2. La solution de l’arrêt ci‑dessus s’applique au cas de retrait du gérant associé révoqué de société civile, qui peut pareillement se retirer de la société civile dans les conditions prévues à l’article 1869, al. 2 précité (C. civ. art. 1851, al. 3). À notre avis, elle s’applique aussi, dans les sociétés en nom collectif, au cas de retrait du gérant statutaire associé révoqué, qui est lui aussi autorisé à se retirer de la société en demandant le remboursement de ses parts (C. com. art. L 221‑12, al. 1).
Cass. 3e civ. 25‑5‑2023 n° 22‑17.246 FS‑B
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