Requalification en CDI et indemnisation des périodes interstitielles

La requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée du travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat, réciproquement, la requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail. Il en résulte que le salarié, engagé par plusieurs contrats à durée déterminée et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s'il établit qu'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.

La requalification d'une succession de contrats dits « précaires » en relation de travail à durée indéterminée entraîne toujours avec elle son lot de difficultés liées à la fiction de la reconstitution d'une unité contractuelle englobant des périodes interstitielles. Ces périodes entre deux contrats à durée déterminées peuvent en effet donner lieu à rappel de salaires si certaines conditions sont réunies, au premier chef desquelles figurent la démonstration d'une tenue du salarié à la disposition de l'employeur pendant ces durées (Soc. 28 sept. 2011, n° 09-43.385, RJS 12/2011, n° 945).

En l'espèce, une salariée avait été engagée en qualité d'enquêteur vacataire par plusieurs contrats à durée déterminée d'usage, avant d'être engagée par contrat à durée indéterminée intermittent. La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil du 15 décembre 1987, dite Syntec. L'intéressée a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à ce que la relation contractuelle soit requalifiée en contrat à durée indéterminée à temps complet et que lui soient versées des sommes afférentes à ces requalifications. Les juges du fond firent droit à sa demande et condamnèrent l'employeur à verser des rappels de salaires ainsi que les congés payés afférents. L'employeur, insatisfait de cette décision dans la mesure où l'intéressée avait bénéficié de jours d'indisponibilités et de congés sans soldes qui méritaient d'être soustrait des périodes indemnisées, a formé un pourvoi en cassation.

L'éminente juridiction va, au visa de l'article L. 1245-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et l'article L. 1245-2 du même code, casser l'arrêt d'appel.

La nécessaire démonstration d'une mise à disposition

Elle va en effet rappeler que la requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée du travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat (V. déjà en ce sens, récemment, Soc. 2 juin 2021, n° 19-18.080 P, Dalloz actualité, 22 juin 2021, obs. L. Malfettes ; D. 2021. 1088 ; Dr. soc. 2021. 818, étude L. Bento de Carvalho ). Elle va encore ajouter que réciproquement, la requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.

Partant de ce constat, la chambre sociale va rappeler qu'un salarié placé dans une situation de requalification en CDI ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s'il établit qu'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.

La cour d'appel qui avait invalidé la démarche de l'employeur tendant à opérer une déduction des périodes d'absence de la salariée en indiquant que celle-ci s'était déclarée indisponible, avait commis une erreur de droit. Le salarié doit en effet parvenir à démontrer qu'il s'était tenu à la disposition de l'employeur pendant ces périodes pour pouvoir prétendre à une indemnisation.

La chambre sociale confirme ici avec force sa jurisprudence antérieure concernant l'indemnisation des périodes interstitielles. Il était en effet antérieurement jugé que le salarié ne peut obtenir le paiement de salaires au titre de périodes d'inactivité séparant des CDD requalifiés ensuite en CDI que s'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant les périodes intermédiaires (V. Soc. 9 déc. 2009, n° 08-41.737 P, Dalloz actualité, 13 janv. 2010, obs. B. Inès ; RJS 2/2010, n° 226 ; JCP S 2010. 1043, obs. F. Bousez). De même en est-il de la charge de la preuve pesant sur le salarié, puisqu'il est désormais de jurisprudence constante que le salarié qui n'établit pas s'être tenu à la disposition de l'entreprise en vue d'effectuer un travail ne justifie pas d'une créance salariale à l'encontre de celle-ci au titre des périodes non travaillées entre ses différents contrats à durée déterminée (Soc. 28 sept. 2011, n° 09-43.385, RJS 12/2011, n° 945 ; JCP S 2012. 1039, obs. F. Bousez).

La solution nous apparaît trouver en partie sa cohérence une fois rapprochée de la définition et du régime du temps de travail effectif, défini comme le temps pendant lequel un salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles (C. trav., art. L. 3121-1). Si ces périodes interstitielles nous semblent toutefois difficilement pouvoir être qualifiées juridiquement de temps de travail effectif à la lumière des autres conditions, il a semblé bienvenu de subordonner leur indemnisation au titre d'un rappel de salaire à la démonstration préalable d'une situation où le salarié était « libre » d'être mobilisé par l'employeur, sauf à donner à cette indemnisation un caractère quasi forfaitaire.

Plaidant également l'exclusion d'une conception relevant d'une « sanction » forfaitaire laissant place à une reconstitution réaliste, la chambre sociale avait jugé que lorsque les CDD successifs ont été conclus à temps partiel pour des durées différentes, il faut retenir, pour déterminer la base de calcul du rappel de salaire, la réalité de la situation de chaque période interstitielle telle que résultant des CDD qui l'ont précédée (Soc. 2 juin 2021, n° 19-16.183 P, Dalloz actualité, 22 juin 2021, obs. L. Malfettes ; D. 2021. 1089 ; ibid. 1490, chron. S. Ala et M.-P. Lanoue ; ibid. 2022. 132, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. soc. 2021. 818, étude L. Bento de Carvalho ).

La particularité de la requalification du contrat intermittent

Sur la situation très particulière de la requalification en CDI à temps plein du contrat intermittent, la chambre sociale de la Cour de cassation, au visa de l'article L. 1221-1 du code du travail et de l'article 1315 devenu l'article 1353 du code civil, va également censurer l'arrêt d'appel, en rappelant que l'employeur est tenu de fournir un travail et de payer sa rémunération au salarié qui se tient à sa disposition. La demande consistant en un rappel de salaire sur la base d'un temps plein suite à une requalification du contrat de travail intermittent en CDI à temps complet invitait en effet le juge à se prononcer sur la réalité de la relation de travail sur les périodes non travaillées. Pour ce faire, il est nécessaire pour les juges du fond de rechercher si l'employeur démontre avoir rempli l'obligation de fournir un travail dont il était débiteur du fait de la requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet et si le salarié, en se déclarant indisponible ou en congés sans solde, a refusé d'exécuter son travail ou de se tenir à sa disposition. Ce n'est qu'à ses deux conditions qu'il sera possible pour l'employeur d'obtenir la déduction des jours d'indisponibilité ou de congés sans solde dans le cadre d'une requalification d'un contrat intermittent en contrat à temps plein.

Cette dernière solution pourra faire écho à la jurisprudence antérieure qui avait déjà pu mobiliser l'obligation de l'employeur de fournir un travail au salarié se tenant à disposition en contexte de requalification, en admettant que l'employeur qui, à l'expiration d'un contrat de travail à durée déterminée ultérieurement requalifié en contrat à durée indéterminée, ne fournit plus de travail et ne paie plus les salaires, est responsable de la rupture qui s'analyse en un licenciement et qui ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture (Soc. 21 sept. 2017, n° 16-20.460 P, Dalloz actualité, 30 oct. 2017, obs. J. Siro ; D. 2017. 1915 ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta ).

 

Soc. 21 sept. 2022, FS-B+R, n° 21-16.821Soc. 21 sept. 2022, FS-B, n° 20-17.627.

Par Loïc Malfettes

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