Remise au débiteur de conclusions et signification de la cession de créance

Dans un arrêt en date du 1er juin 2022, la première chambre civile vient préciser que la remise au débiteur lors d'une audience, de conclusions mentionnant une cession de créance et contenant copie de l'acte de cession équivaut à sa signification eu égard à l'ancien article 1690 du code civil.

L'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a grandement simplifié l'opposabilité aux tiers de la cession de créance (M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l'ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 772, n° 851) notamment en revenant sur la signification au débiteur imposée à ce titre, sauf acceptation de celui-ci dans un acte authentique, sur le fondement des articles 1689 et 1690 anciens du code civil. Mais le droit antérieur à l'ordonnance de 2016 continue à régir les situations – assez nombreuses en pratique – où une cession de créance a été conclue avant le 1er octobre 2016 générant ainsi encore du contentieux pour quelques années. Après avoir étudié les formalités requises dans le bordereau de cession permettant à un fonds de titrisation d'acquérir des créances le 25 mai dernier (Com. 25 mai 2022, n° 20-16.042, Dalloz actualité, 13 juin 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1036 ), la Cour de cassation revient dans le giron du droit commun avec un arrêt de sa deuxième chambre civile qui s'intéresse à une question éminemment pratique, celle des contours des actes qui équivalent à une signification au sens des articles 1689 et 1690 anciens du code civil. Dans la vie des affaires, il reste assez courant qu'une cession de créance régie par le droit antérieur ne soit pas signifiée pour des raisons diverses (oubli du cessionnaire, lourdeur de la procédure, etc.). La jurisprudence avait donc pu alléger cette exigence de signification en prévoyant diverses solutions dans la lignée d'une opposabilité plus aisée pour le cessionnaire (Rép. civ., Cession de créance, par C. Ophèle, n° 127). L'arrêt du 1er juin 2022 de la première chambre civile de la Cour de cassation s'inscrit dans cette lignée.

Rappelons brièvement les faits à l'origine du pourvoi. Un jugement du 15 juin 1992 condamne un débiteur à payer une certaine somme d'argent à une société. Celle-ci décide de céder sa créance par acte authentique du 6 février 2003 à une seconde société qui a fait pratiquer plusieurs mesures d'exécution forcées sur des valeurs mobilières détenues par son nouveau débiteur. Mécontent, le cédé assigne devant le juge de l'exécution en mainlevée des mesures la société cessionnaire laquelle demande reconventionnellement des dommages-intérêts. Voici le débiteur débouté de sa demande en première instance par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre. La demande de dommages-intérêts du cessionnaire est également rejetée. Le demandeur succombant interjette appel. La cour d'appel confirme le jugement entrepris sauf sur la partie indemnitaire et condamne ledit débiteur au paiement d'une somme de 2 000 € au titre de dommages-intérêts. Ce dernier décide désormais de se pourvoir en cassation. Il estime que la remise à son conseil de conclusions comportant la copie de la cession de créance lors d'une audience devant le juge de l'exécution ne peut pas valoir signification de cette cession et rendre cette dernière opposable au débiteur.

Le pourvoi est rejeté en ces termes : « ayant constaté que la société M avait remis au débiteur, le 9 octobre 2014, lors d'une audience devant le juge de l'exécution, des conclusions comprenant copie de l'acte authentique de cession, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que cette remise équivalait à une signification au débiteur auquel la cession était dès lors opposable ».

Cette solution qui assouplit la formalité prévue à l'ancien article 1690 du code civil veille toujours à préserver le référentiel de la copie de la cession annexée à l'acte valant signification. Nous noterons que le pourvoi est également rejeté sur les dommages-intérêts dus à la banque mais sur ce point, la question ne présente pas d'originalité particulière.

L'assouplissement toujours plus net d'une formalité jugée sévère

La signification prévue à l'ancien article 1690 du code civil a pu être jugée comme excessivement lourde pour le cédant comme pour le cessionnaire (pour un état de la question, v. Rép. civ., art. préc., n° 129). Ainsi, la jurisprudence a pu par petites touches successives assouplir le régime de cette signification pendant la seconde partie du XXe siècle. MM. Terré, Simler et Lequette notaient en 2013 que cette signification « peut résulter, à défaut d'acte spécialement formalisé à cet effet, de toute notification dans les mêmes formes faisant mention de la cession, avec les précisions requises. Tel peut être le cas de la signification d'une assignation en paiement, d'un commandement aux fins de saisie ou même de conclusions en cours d'instance, pourvu que cette notification tardive ne fasse grief ni au débiteur lui-même, ni à un autre tiers » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2013, p. 1328, n° 1281). Voici donc un florilège bien intéressant d'actes pouvant valoir signification sans que celle-ci soit matériellement individualisée pour la cession elle-même.

L'arrêt du 1er juin 2022 vient très clairement s'inscrire dans cette tendance que la première chambre civile avait déjà pu avoir ces dernières années. Ici, la remise au débiteur lors de l'audience du juge de l'exécution des conclusions qui mentionnent la cession de créance pouvait ainsi parfaitement valoir signification au débiteur, sous la réserve que nous allons étudier de la copie de l'acte. La solution reste favorable au créancier cessionnaire qui n'a pas à souffrir de l'absence de signification, notamment quand il comptait sur le cédant pour y procéder. Rappelons à ce titre qui rien n'empêchait le cessionnaire de faire lui-même signifier la cession au débiteur cédé, ce qui aurait probablement pu faire gagner du temps en échappant à un contentieux délicat pour lui. En pratique, il est toujours beaucoup plus avantageux d'opter pour une telle signification afin de ménager toute difficulté de ce style.

L'argument du demandeur au pourvoi ne pouvait donc pas raisonnablement prospérer en raison de cette jurisprudence constante recherchant non nécessairement un acte à part entière mais une occasion où la signification s'est produite à l'occasion d'un acte dont le but principal était différent que celui recherché par la signification individualisée de la cession. En somme, la première chambre civile opte pour une application fluide la signification. Cette application demeure toutefois sous réserve de la présence de la copie de l'acte.

Le contrôle de l'assouplissement : la copie de l'acte

L'assouplissement ne doit toutefois pas conduire à tordre le texte et à en faire une lecture contra legem. La première chambre civile est donc particulièrement vigilante quant à la présence de la copie de l'acte authentique de cession notamment. Ceci est expressément rappelé dans la motivation (arrêt, § 6). L'argumentation déployée par la cour d'appel est très intéressante à noter à ce titre : « dès lors qu'il ne conteste pas avoir connu et accepté sans équivoque cette cession de créance et ne peut valablement se prévaloir des formalités telles que prévues, expressis verbis, par l'article 1690 (ancien) du code civil, au rebours de la doctrine de la Cour de cassation (Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 06-11.814, de Saboulin-Bollena c. Heinzen, D. 2007. 2469 ; Rev. sociétés 2008. 348, note N. Mathey ) dont il peut surabondamment être relevé, puisque le litige n'est pas soumis à la loi nouvelle, qu'elle a été approuvée par le législateur de 2016 introduisant la prise d'acte du débiteur cédé à l'article 1324, alinéa 1er, du code civil » (nous soulignons). Les juges du fond, après avoir motivé leur raisonnement sur l'équivalence de la remise des conclusions au conseil lors de l'audience, font un parallèle avec la prise d'acte laquelle peut désormais se faire par tout moyen eu égard à la nouvelle rédaction de l'article 1324 du code civil (M. Latina et G. Chantepie, op. cit., p. 786, n° 867). S'agissait-il toutefois d'une véritable prise d'acte ou d'un acte valant signification ? La première chambre civile ne se risque pas à reprendre le raisonnement des juges du fond mais la question peut se discuter.

La pratique saura donc utilement se saisir de cet arrêt, mais prudence toutefois : la remise des conclusions ne peut être l'équivalent de la formalité prévue à l'article 1690 ancien du code civil que si ces dernières comportent la copie de l'acte de cession ; la simple mention de la cession serait parfaitement insuffisante. Il faut que le débiteur puisse avoir connaissance de l'acte et non que celui-ci soit porté à sa connaissance. C'est précisément en ceci que la formalité avait été jugée trop lourde puisque dans de nombreux cas, le débiteur est au courant de la cession et la formalité de la signification n'a finalement que peu d'utilité réelle. Cet arrêt a donc pour principal intérêt de continuer l'œuvre prétorienne de simplification de la question sur un texte rigide et peu aisé à manier pour la pratique.

 

Par Cédric Hélaine

Civ. 1re, 1er juin 2022, F-B, n° 21-12.276.

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