Quelle jurisprudence à l'ère des données judiciaires ouvertes ?
La Cour de cassation a publié le 15 juin 2022 un important rapport qui examine le rôle de la jurisprudence à l'heure des données judiciaires ouvertes. Dalloz actualité revient sur ce document et sur ses diverses recommandations pour anticiper l'open data des décisions de justice.
En juillet 2021, nous commentions dans ces colonnes le rapport « Cour de cassation 2030 » (Dalloz actualité, 15 juill. 2021, obs. C. Hélaine) projetant la Cour de cassation dans son futur à travers une série de propositions plus ou moins originales (opinions dissidentes, meilleur dialogue des juges, recours à une motivation enrichie plus fréquente entre autres). Le 14 juin 2022, c'est un second rapport qui a été remis aux Chefs de Cour, sur la diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence. La genèse du projet remonte au 23 juillet 2021 : Mme Chantal Arens, Première Présidente de la Cour de cassation, et M. François Molins, procureur général, ont confié à M. Loïc Cadiet, Mme Cécile Chainais (tous deux professeurs des universités) et M. Jean-Michel Sommer (directeur du service de documentation, des études et du rapport à la Cour de cassation) une mission de réflexion sur cette thématique. Le but était de mener une étude sur l'incidence de l'open data des décisions de justice qui a débuté récemment mais également sur le rôle des différents acteurs du monde judiciaire à ce sujet (magistrats, avocats sans oublier les universitaires). Dans la lettre de mission, Mme Arens et M. Molins résument bien l'objet même de cette réflexion, à savoir « reconsidérer la notion même de jurisprudence ». Les difficultés majeures gravitent alors inévitablement autour du rôle du précédent interrogeant tour à tour l'office du juge mais également l'organisation judiciaire entre les juridictions du fond et la Cour de cassation. Or le rôle de cette dernière reste que « l'interprétation de la loi soit la même pour tous » comme le rappelle élégamment la page d'accueil de son site internet à chaque visiteur. La diffusion massive de nouvelles données décisionnelles implique de s'interroger sur les outils au service de la continuité de ce rôle. Le développement des sites internet de « jurimétrie » interpelle également et avec ces derniers, naît un questionnement autour de la réutilisation des données issues de ces décisions. La lettre de mission reste donc très dense et axée autour d'une question majeure que nous reproduisons ci-dessous afin de déterminer dans cette étude quelles réponses y apporte le rapport déposé le 14 juin 2022 :
Dans quelle mesure la connaissance d'une telle masse de décisions, permise par l'open data, peut-elle conduire à la reconnaissance, consacrée ou imposée, d'une jurisprudence « horizontale », au point de conférer une valeur normative et régulatrice aux décisions des juridictions du fond ?
En somme, la question reste celle de l'adéquation des décisions entre elles mais également de leur autorité, voire de leur force normative. L'interrogation est évidemment tant pratique (notamment en raison du développement d'algorithmes analysant les décisions de justice par les acteurs de la Legal Tech) que théorique sur des problématiques intéressant l'organisation judiciaire en France. C'est dans ce contexte que se présentait donc la mission confiée le 23 juillet 2021 aux présidents du groupe de réflexion. Le produit fini remis à la Cour de cassation dénote de la grande qualité de l'exécution de cette tâche : 160 pages d'une précision millimétrée, livrées dans les temps souhaités. La mixité professionnelle des rapporteurs par la présence d'un universitaire (M. Sylvain Jobert, professeur des universités) et d'une conseillère référendaire (Mme Estelle Jond-Necand) a permis à ce rapport de mêler la théorie et la pratique avec beaucoup de soin. L'introduction du rapport reprend le questionnement de la lettre de mission en étudiant l'évolution historique de la notion de jurisprudence (p. 23) et en s'interrogeant notamment sur une question pivot : les décisions rendues par les juges du fond sont-elles constitutives d'une jurisprudence ? Question à la réponse nuancée, que le rapport explore plus avant dans son corps et dans les recommandations listées. L'introduction note encore que la réflexion (pp. 27 et 28 du rapport) implique de s'interroger sur l'articulation des jurisprudences entre celle de la Cour de cassation et celles des juges du fond.
Nous analyserons tour à tour l'état des lieux dressé des formes de diffusion des décisions de justice en France avant d'examiner les perspectives dessinées par le groupe d'étude, notamment en prenant en compte les risques de l'open data et ses éventuelles mises à profit.
Une diversification et une pluralité des modes de diffusion des décisions
Le rapport note le caractère inédit d'un tel état des lieux sur la diffusion des données décisionnelles (p. 32). Il est vrai que peu d'études ont eu l'occasion d'être menées sur la question notamment en raison de la difficulté d'être exhaustif à ce sujet. Le groupe de travail a accordé une grande précision à cette première partie qui sert de base structurelle à tout l'édifice du rapport. L'état des lieux invite à évoquer la diversité de la diffusion et l'intérêt de sa réception.
De l'importance et de la diversité de la diffusion des décisions de justice
Le rapport commence par rappeler le point de départ du problème : pour parler de « jurisprudence », il faut une diffusion de la décision de justice qui peut faire à proprement parler jurisprudence (p. 33). Ce qui invite le groupe de travail à revenir sur les modes de diffusion en eux-mêmes en examinant le procédé propre aux juridictions administratives (base Ariane, ou « Ariane Archives ») mais également le processus de diffusion de la Cour de cassation. Le groupe revient aux pages 37 et 38 sur les fameux sigles P+B+R et I qui avaient pour vocation d'épingler les décisions de la haute juridiction en fonction de leur importance. Le document note, à ce titre, l'évolution récente de la Cour de cassation sur ce point qui depuis juin 2021 n'a conservé que la lettre B (pour le Bulletin des arrêts de la Cour de cassation) et la lettre R (pour le Rapport annuel de la Cour de cassation). On peut d'ores et déjà faire un lien utile avec les perspectives dressées afin d'évoquer un point étudié par le groupe de travail : les décisions des juges du fond devraient faire l'objet d'une hiérarchisation similaire sur le principe (cf. infra). Outre l'identification des arrêts, on note également un examen attentif du rapport à la diffusion mise en œuvre par un service public de base de données juridiques, à savoir Légifrance (p. 39). Or, Légifrance collecte les décisions de la Cour de cassation mais également certaines issues des juridictions du fond témoignant d'un modèle dit « sélectif » et non exhaustif. La présence d'un modèle sélectif des décisions de justice se retrouve dans plusieurs pays à travers le monde note le groupe d'étude, ce qui dénote avec la nouvelle diffusion programmée en open data à travers la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
À cette pluralité de diffusion légalement encadrée répond une certaine diversification de modes de diffusion que le rapport appelle « spontanée ». On retrouve ici les liens de la Cour de cassation avec la Conférence des premiers présidents et la Conférence des présidents de tribunaux judiciaires. Ce point du rapport (p. 45) ne peut faire que songer au fameux dialogue des juges dont le rapport « Cour de cassation 2030 » (préc.) avait déjà appelé de ses vœux pour une meilleure qualité de la jurisprudence. Le document explore également des initiatives des juges du fond notamment à travers le rôle des listes de discussion (intranet réservé aux spécialistes de matières au sein d'une juridiction). Ceci aboutit à ce que le rapport appelle une « formation collective de la jurisprudence » par une discussion thématique autour de sujets techniques. Il faut noter la réalité pratique de ces échanges internes, bien souvent inconnus du grand public, mais qui impliquent plus d'aisance dans la mise en mouvement de la règle de droit (v. not. p. 47).
Des initiatives spontanées existent également tant de la part de la Cour de cassation (les Lettres de chambres, par exemple ou les communiqués de presse voire la chronique de jurisprudence tenue dans le Recueil Dalloz) que de la part des cours d'appel (illustration est prise de l'initiative de Chantal Arens alors première présidente de la cour d'appel de Paris de sélectionner certains arrêts pour diffusion sur l'intranet de la cour aux pages 51 et 52 du rapport). Les initiatives peuvent d'ailleurs venir également d'acteurs non juridictionnels à savoir la doctrine (par les commentaires dans des revues spécialisées), les éditeurs juridiques, la Legal Tech, la presse généraliste et les réseaux sociaux. Sur ce dernier point, le rapport émet la réserve que ces réseaux ne sont pas le lieu privilégié pour entreprendre une réflexion construite dans le temps.
Cette diffusion des décisions appelle nécessairement l'étude par le rapport de la réception de ces dernières.
De la réception des décisions de justice
Le groupe de réflexion a dû s'intéresser à la pluralité des usages des décisions de justice dans un premier temps. Le rapport confronte alors la valorisation traditionnelle des décisions de la Cour de cassation (notamment au sujet des exercices proposés aux étudiants mais également aux arrêts commentés dans les revues traditionnelles) à une valorisation moindre des décisions rendues par les juridictions du fond (p. 56). Cette opposition interroge en ce que certains acteurs se saisissent plus volontiers du commentaire de ces dernières décisions (les praticiens notamment, à l'opposition des universitaires). Les usages ne sont donc pas uniformes en la matière.
Les décisions de justice ont aussi pour vocation de convaincre le juge. On retrouve pages 57 et suivantes la même dissymétrie, produit d'une utilisation plus importante des décisions de la Cour de cassation que celles provenant des juridictions du fond par les justiciables. Les praticiens les représentant n'hésitent pas, quant à eux, à mobiliser les décisions rendues au fond. Sur ce point, le rapport dresse un tableau nous semblant très fidèle à la réalité du terrain : les conclusions des avocats abritent souvent de multiples décisions dont les faits leur semblent proches afin de convaincre le juge d'adopter la même solution par analogie. Le rapport note d'ailleurs que l'utilisation des décisions de première instance et d'appel se confirme quand la question est inédite devant la Cour de cassation. Se pose également une interrogation particulière : celle de l'utilisation des données décisionnelles par le ministère public. Comme l'a énoncé M. Guillaume Leroy dans sa thèse de doctorat citée dans le rapport commenté, les arguments des avocats généraux à la Cour de cassation reposent sur une argumentation liée au précédent depuis plusieurs années (G. Leroy, La pratique du précédent en droit français, Étude à partir des avis de l'avocat général à la Cour de cassation et des conclusions du rapport public au Conseil d'État, thèse Aix-Marseille, 2021, n° 15, p. 23 notamment). Ceci témoigne du rôle essentiel de cette réception de la décision de justice, et ce afin de convaincre le juge d'une orientation particulière de la jurisprudence. Une telle réception ne doit pas occulter la tendance actuelle des juges de la Cour de cassation à citer d'autres décisions dans leur motivation, notamment dans le cadre de la motivation dite enrichie par exemple en cas de revirement de jurisprudence pour en justifier la teneur. Les juges du fond sont beaucoup plus réservés sur la question, notamment en raison du fascicule de méthodologie de rédaction du jugement civil qui a un avis assez négatif sur ce point (p. 62 du rapport).
La question de la réception est intimement liée à la perception des décisions de justice. Là encore, le rapport met en exergue ce qui devient un juste et attendu leitmotiv, celui de l'autorité des arrêts de la Cour de cassation. Cette idée implique selon le groupe de travail de ne toutefois pas occulter le rôle des décisions de cours d'appel qui peuvent donner lieu à l'essor de certaines jurisprudences locales (le rapport cite page 67 les cours d'appel d'Aix-en-Provence, de Paris ou de Poitiers). Quant aux décisions de premières instances, le rapport conclut à une autorité moindre par les auditions menées. Sur ce point, il rappelle aux pages 68 et 69 une certaine conformité entre la situation française et la situation de certains pays qui n'ont pas la même tradition juridique. La nature du contentieux peut adoucir le constat : « une autorité particulière est attachée aux décisions des juridictions du fond tranchant une question inédite » (p. 70). Évidemment, se pose alors la question du sens de ce caractère inédit, ce qui cristallise d'autres difficultés dans un pays de droit écrit comme le nôtre. Le lien est alors rapidement fait avec une question connexe : le signalement des décisions participe au processus jurisprudentiel qu'il provienne de la juridiction (motivation développée, communiqué de presse, publication aux Lettres de chambres, au Bulletin ou au Rapport annuel par exemple) ou de la doctrine commentant un arrêt qu'elle signale comme particulièrement important selon elle.
La conclusion de l'état des lieux dressé par le rapport est donc simple : la multiplication des modes de diffusion des décisions de justice a conduit à une accessibilité certaines de celles-ci pour le justiciable et, plus particulièrement, pour les juristes. Cette diffusion protéiforme implique de nouvelles questions à l'aube de l'ère de l'open data.
Les perspectives dressées sont ainsi aussi plurielles que l'état des lieux est complexe.
Des perspectives plurielles : entre gestion des risques et mise à profit
Le rapport dresse deux types de perspectives : celles qui visent à prévenir les risques de l'open data et également celles qui consistent à en tirer profit. Le document n'hésite pas à justifier habilement par la sémantique ce double aspect, positif et négatif, par la définition même du mot « perspective » (note 256, p. 75).
Une quête d'accessibilité doit s'accompagner d'une prévention des risques
Le rapport voit dans l'open data des décisions judiciaires plusieurs risques dont il faut se méfier. Il en existerait deux types selon le groupe de travail. Le premier est celui du « nivellement des décisions de justice », produit d'une accessibilité totale et déraisonnée des décisions rappelant l'existence d'une « production massive » de celles-ci. Le rapport suggère donc de réduire la publication sur Légifrance aux seules décisions de la Cour de cassation, voire « aux seules décisions de la Cour de cassation ayant une portée normative » (recommandation n° 1). La proposition aurait pour principal mérite de faire retrouver à Légifrance son utilité première et, en cela, elle doit être accueillie favorablement puisque la Cour de cassation dispose désormais de Judilibre pour l'open data.
Reste à savoir comment l'accessibilité des décisions de justice peut être gérée en termes de flux. Le rapport rappelle l'importance d'une hiérarchisation des décisions des juridictions du fond. La politique en serait confiée à la Cour de cassation, conséquence de sa mission d'unification de l'interprétation de la norme. C'est, dans ce contexte, que la recommandation n° 4 liste plusieurs critères permettant d'isoler un intérêt juridique particulier à une décision en open data : renvoi préjudiciel, transmission d'une QPC mais également sur des critères nécessitant une analyse plus en finesse dont le problème des questions inédites. Le groupe propose également la rédaction de sommaires des décisions publiées par les juges du fond qui pourraient être rédigés par les présidents des chambres concernés (sur ce point, les collaborateurs du magistrat comme les juristes assistants pourraient être mis à contribution utilement).
Le rapport pointe également un risque inhérent à la gestion de flux importants de décisions publiées, celui d'une altération du raisonnement. En somme, le groupe de travail craint un certain nivellement de la réflexion. Les recommandations sont ici plus souples et relèvent de l'incitation, notamment des avocats pour qu'ils indiquent si la décision citée dans leurs conclusions est valorisée sur Judilibre par exemple. Le groupe n'hésite d'ailleurs pas à proposer une modification de l'article 5.5 du règlement intérieur national de la profession d'avocat pour l'adapter à l'ère de l'open data (recommandation n° 8). Le rapport explore ensuite les possibilités de limiter les risques de déviance en raison de l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le cadre des outils de « jurimétrie » (v. sur la justice prédictive, l'étude d'ampleur de M. Mérabet : S. Mérabet, Vers un droit de l'intelligence artificielle, Dalloz, Nouvelle Bibliothèque de thèses, vol. 197, 2020, p. 211, n°223). Pour ce faire, il reste bien évidemment nécessaire de trouver un cadre juridique national ou européen qui n'existe pas, pour l'heure. On retrouve donc également des propositions visant à mieux encadrer la motivation « par référence », ce qui conduit nécessairement à un subtil jeu d'équilibriste entre valeur normative, force contraignante et autorité de ces décisions rendues par les juges du fond (recommandation n° 10). La formation des acteurs du droit reste donc centrale ici pour l'ère des données décisionnelles ouvertes (recommandations n° 12 à 15).
La proposition phare se situe, à ce niveau, dans la recommandation n° 16 qui vise à créer une instance de concertation nationale (le Conseil des données judiciaires ouvertes) qui permettrait une meilleure centralisation des informations, une réflexion générale sur l'open data des décisions de justice, une ouverture à l'international et une coordination visant à l'amélioration de la diffusion des données. Mais, au moins sur ce point, il faudra probablement attendre quelques années avant qu'un tel organe puisse naître. On pourra utilement se poser la question de sa pertinence ajoutant une nouvelle couche à un système déjà en mille-feuilles. Mais, sur ce point, l'institutionnalisation d'une telle prévention des risques apparaît comme très séduisante pour renforcer la protection contre les risques suscités par la diffusion massive des décisions (pp. 112 à 114).
Cette prévention des risques ne doit pas occulter la mise à profit des opportunités que représente l'open data des décisions de justice.
La mise à profit des opportunités offertes par l'open data
Cette mise à profit passe, selon le rapport, par le rôle « unificateur » de la Cour de cassation (p. 115). Puisque toutes les décisions ont vocation à être publiées, les divergences jurisprudentielles pourraient être plus facilement mises en exergue. La recommandation n° 18 implique de replacer l'utilisateur du site de la Cour de cassation et donc de Judilibre comme un acteur venant signaler des divergences entre plusieurs décisions. L'idée est intéressante mais n'est-ce pas un risque qui tendrait à tout uniformiser et à ne pas faire éclore des divergences qui ont parfois pour vocation de créer un revirement de jurisprudence à court ou à moyen terme ? Le débat devra nécessairement être ouvert sur cette recommandation particulièrement importante visant non à limiter les divergences mais à en assurer un certain suivi. On notera une utile proposition d'assouplissement de la procédure de demande d'avis sur le fondement de l'article L. 441-1 du Code de l'organisation judiciaire, laquelle permettra probablement de régler ces divergences, même si l'avis ne lie pas la juridiction l'ayant provoqué (recommandations nos 19 et 20 visant à assouplir ou supprimer certaines conditions de la procédure pour avis). Ceci implique également une incitation de l'utilisation plus fréquente du pourvoi dans l'intérêt de la loi, ce qui suggère ici un changement de paradigme plus important qu'il n'y paraît. Il ne faut pas occulter l'examen de la procédure d'arrêt pilote (p. 126), notamment en cas de litiges sériels. On notera également une meilleure adaptation des pratiques rédactionnelles, suite logique de ce qui vient d'être étudié (recommandations n° 24 à 26, p. 132 à 134).
Alors que le rapport explore en grande partie une vision verticale de la jurisprudence, à savoir celle de l'autorité des décisions de la Cour de cassation, les pages 139 et suivantes invitent à se demander comment cette juridiction peut exploiter utilement et efficacement les décisions des juges du fond « dans l'attente d'instruments algorithmiques performants ». Les recommandations nos 27, 28 et 29 visent à prendre en compte ce point précis notamment en mettant en exergue de manière plus précise les arguments développés par les juges du fond quitte à recourir à des obiter dicta plus fréquents dans les arrêts afin d'anticiper les difficultés. Récemment, la chambre commerciale a pu en donner un aperçu très utile dans un arrêt important destiné au Rapport annuel sur l'article 1843-4 du code civil et la possibilité d'intenter un appel, voie de réformation en cas de refus de désignation d'un expert (Com. 25 mai 2022, FS-B+R, n° 20-14.352, Dalloz actualité, 31 mai 2022, obs. C. Hélaine).
Les dernières propositions visent à mieux promouvoir les rapports entre les universités et les juridictions mais également à mieux accompagner le législateur dans les études d'impact et le suivi des réformes des décisions, sous l'égide du Conseil des données judiciaires ouvertes.
Conclusion
Voici donc un rapport particulièrement fourni en recommandations afin de prévenir les risques de l'open data mais également de se saisir au mieux des opportunités qui en sont la conséquence logique. Le devenir de la jurisprudence s'inscrit, en effet, au carrefour de plusieurs dangers, celui de son nivellement notamment et dans une assimilation discutable de la portée de chaque décision prise individuellement. En somme, c'est la fonction unificatrice de la Cour de cassation qui doit s'accentuer pour que la jurisprudence en ressorte grandie ou du moins pour éviter sa fragilisation au lendemain de l'ère de l'open data (p. 155). Cette évolution de la notion de jurisprudence implique de veiller à une bonne élaboration de celle-ci, et ce dans l'intérêt du justiciable, notamment sous l'égide d'une nouvelle institution que le rapport appelle de ses vœux. En conséquence, le groupe d'étude a sans cesse reposé la question de l'incidence de l'open data des décisions de justice sur la jurisprudence. Rien ne sera possible, évidemment, sans davantage de temps et de moyens, évidence relevée par le rapport pour rappeler aux pouvoirs publics l'importance du budget alloué au ministère de la Justice. Ce précieux document doit donc utilement se lire en complémentarité avec le rapport « Cour de cassation 2030 » pour une construction de la jurisprudence de demain.
Par Cédric Hélaine
© Lefebvre Dalloz