Prestation de compensation du handicap et préjudice économique de l'aidant familial

La deuxième chambre civile rappelle que la prestation de compensation du handicap affectée au dédommagement de l'aidant familial doit être considérée comme une ressource de l'aidant incluse dans le revenu de référence du foyer pour calculer son préjudice économique.

Le contentieux du droit des assurances donne régulièrement lieu à l'essor de belles questions en droit de la responsabilité civile, comme nous l'avions déjà relevé il y a bientôt une année dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 1re, 8 juill. 2021, n° 19-25.552, Dalloz actualité, 19 juil. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1380 ; ibid. 1795, chron. G. Guého, O. Talabardon, F. Jollec, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; Rev. prat. rec. 2021. 19, chron. R. Bouniol ; RTD civ. 2021. 880, obs. H. Barbier ). Le 16 juin 2022, la deuxième chambre civile a eu l'occasion de se pencher sur une difficulté inédite eu égard à un contrat d'assurance et au calcul d'un préjudice économique déterminé en cas de décès par référence au droit commun. Les faits à l'origine du pourvoi permettent de mieux comprendre la difficulté. Un incendie s'est déclaré le 2 mai 2014 dans un appartement occupé par un couple et ses deux enfants dont l'un était en situation de handicap. Ce dernier meurt des suites de l'incendie. Ses parents avaient souscrit un contrat d'assurance « garantie des accidents de la vie » auprès d'une compagnie d'assurance prévoyant l'indemnisation du préjudice économique des bénéficiaires du contrat en cas de décès, par référence au droit commun. L'assurance refuse toutefois d'indemniser les bénéficiaires sur ledit préjudice économique. Les parents assignent l'assureur devant le tribunal de grande instance pour être indemnisés notamment sur ce poste de préjudice. En première instance, la compagnie d'assurance est condamnée à payer 25 000 € à chaque parent et 10 000 € à la sœur du défunt en raison du préjudice d'affection sur le fondement du contrat souscrit. Mais le tribunal de grande instance refuse d'indemniser tout préjudice économique. Les assurés interjettent appel. Le jugement est confirmé en toutes ses dispositions par la cour d'appel de Nîmes. La mère de l'enfant qui a perdu la vie dans l'incendie forme un pourvoi provoqué contre l'arrêt frappé d'un pourvoi par son époux. Elle expose qu'en cas de décès de la victime directe, le préjudice patrimonial subi par les proches du défunt doit être évalué en tenant compte du revenu annuel du foyer avant le dommage ayant entraîné le décès. Or la prestation de compensation du handicap versé à la victime avant son décès doit être prise en considération pour déterminer le montant du préjudice économique subi par les proches de celles-ci.

La deuxième chambre civile casse et annule l'arrêt pour violation de la loi en ces termes : « en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que Mme W était dédommagée, au titre de la prestation de compensation du handicap, pour répondre, en qualité d'aidant familial, au besoin en aide humaine de son fils, de sorte que cette prestation constituait pour elle une ressource qui, comme telle, devait être incluse dans le revenu de référence du foyer servant au calcul du préjudice économique subi par M. et Mme W en raison du décès de leur fils, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

L'arrêt permet de mieux comprendre la prise en compte de la prestation de compensation du handicap, laquelle reste liée à la situation d'aidant familial de la mère du défunt.

De la prise en compte de la prestation de compensation du handicap

L'arrêt présente une originalité notable : son visa est composé de cinq textes sur le handicap, à savoir les articles L. 245-1, L. 245-3, L. 245-5, L. 245-7, L. 245-8, alinéa 1er, et L. 245-12 du code de l'action sociale et des familles. La deuxième chambre civile conclut au paragraphe n° 7 de son arrêt qu'il résulte de ces textes que lorsqu'elle est affectée à une charge liée à un besoin d'aides humaines, la contrepartie monétaire attachée à la prestation de compensation du handicap bénéficie exclusivement à la tierce personne qu'elle dédommage. Le raisonnement de la demanderesse au pourvoi était le suivant : elle s'était arrêtée de travailler pour s'occuper de son enfant présentant un important handicap. À la mort de ce dernier lors de l'incendie, la famille n'a plus touché la prestation de compensation du handicap et a donc subi un préjudice économique indemnisable sur le fondement du contrat d'assurance souscrit et faisant référence aux règles de droit commun.

Elle arguait donc auprès de la compagnie d'assurance d'un préjudice économique qui devait prendre en compte cette prestation de compensation qui n'était, dès lors, plus d'actualité. La cour d'appel avait, en adoptant les motifs du jugement entrepris, considéré que la cessation du versement ne pouvait pas constituer un préjudice économique puisque cette prestation n'avait pas vocation à contribuer à l'entretien de la famille. En d'autres termes, le choix de la mère de s'arrêter de travailler ne pouvait pas avoir pour conséquence de pouvoir à la mort de l'enfant avoir la possibilité d'obtenir réparation d'un préjudice économique de ne plus toucher cette prestation. La deuxième chambre civile voit cette prestation de compensation du handicap comme une ressource qui devait donc être incluse dans le revenu de référence du foyer servant au calcul du préjudice économique. Une autre lecture était toutefois possible, notamment fondée sur l'aspect indemnitaire du versement en question. Les deux argumentations, et donc les deux lectures de cette question de responsabilité civile se conçoivent parfaitement. Après tout, il reste complexe de considérer la prestation de compensation comme un revenu classique. Son originalité permet du moins l'hésitation.

La solution du 16 juin 2022, considérant la prise en compte de cette prestation, ne peut se comprendre, en réalité, que sous le prisme de la situation d'aidant familial de la demanderesse au pourvoi.

L'aidant familial touchant la prestation comme dédommagement

La lecture donnée par la deuxième chambre civile repose sur un choix opportun des termes, dont on voit qu'ils sont utilisés à dessein. Les juges du fond avaient bien remarqué que la prestation était destinée à voir la mère aidant familial « dédommagée » (n° 11 de l'arrêt commenté). C'est précisément ce mot qui explique à lui seul toute l'économie de la solution. La prestation handicap constituait, en effet, une ressource et son inclusion devenait alors inévitable pour le calcul du préjudice économique subi par la mère.

On pourrait rétorquer que la solution peut être critiquable notamment quand on considère la somme versée comme purement indemnitaire. Rien n'imposait à la famille d'utiliser la prestation pour engager une tierce personne. Ici, elle permettait à la mère de l'enfant qui avait arrêté son activité de continuer à toucher une somme d'argent à titre de dédommagement. Restons toutefois prudents : la situation économique de la famille était très fragile si on se réfère aux moyens annexes et, en réalité, cette prestation constituait donc une partie non négligeable des revenus perçus par le foyer. L'action intentée contre l'assureur était alors justifiée par la difficulté liée à l'âge de la mère de l'enfant handicapé de retrouver du travail après le décès de son fils selon sa propre argumentation. Le raisonnement de la deuxième chambre civile repose donc sur la qualité d'aidant familial pour pouvoir justifier de la prise en compte de cette prestation de compensation du handicap.

Voici donc un arrêt qui intéresse également le droit des contrats car, sous couvert de faire une lecture intéressante du préjudice économique subi, la décision prend comme appui un contrat d'assurance-vie couvrant les préjudices économiques des bénéficiaires en cas de décès « par référence au droit commun » (§ 3). C'est la raison pour laquelle l'article 1134 ancien du code civil est utilisé au visa de la solution et que cette référence au droit commun est parfaitement fondée. Ces types de contrats d'assurance assez fréquents n'ont pas terminé de poser de belles questions de pure responsabilité civile !

 

Par Cédric Hélaine

Civ. 2e, 16 juin 2022, FS-B, n° 20-20.270

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