Plus-value d’apport de titres en report : abus de droit fiscal même en cas de versement d'une soulte inférieure à 10 %
L’abus de droit fiscal peut être caractérisé même lorsque le montant d’une soulte est légèrement inférieur à 10 % dans le cadre d’opérations d’apports placés sous le régime du report d’imposition.
L’imposition de la plus-value réalisée lors d’un apport de titres peut être reportée de plein droit lorsque :
- la société bénéficiaire de l’apport est contrôlée par le contribuable ;
- le montant de la soulte reçue, le cas échéant, n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus à l’échange (CGI art. 150-0 B ter).
En revanche, si la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus, la totalité de la plus-value réalisée à l’occasion de l’opération d’apport concernée est immédiatement imposable.
Dans le cadre de la procédure de l’abus de droit fiscal (LPF art. L 64), l’administration a toujours la possibilité d'imposer la soulte reçue s’il s’avère que cette opération ne présente pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60 n° 170).
Les faits. En février 2013, un contribuable a constitué une société holding dont il est l’unique actionnaire. Le même jour, il a apporté à cette société 250 parts en pleine propriété et 83 parts en nue-propriété qu’il détenait dans une SAS. En contrepartie, il a reçu en rémunération 41 000 actions de la société holding d’une valeur faciale de 100 €, ainsi qu’une soulte d’un montant de 389 800 €. En juin 2013, le contribuable a apporté à la société holding 965 actions qu’il détenait d’une autre SAS évaluées à 1 500 000 € et en contrepartie desquelles il a reçu en rémunération 13 800 actions et une soulte de 120 000 €. Les soultes et les plus-values perçues à l’occasion de ces opérations ont été placées en report d’imposition (CGI art. 150-0 B ter).
À l’issue d’un contrôle, l’administration a considéré que le versement de ces soultes était constitutif d’un abus de droit et a remis en cause le bénéfice du report d’imposition pour ces seules soultes. À la suite du rejet de sa demande devant le tribunal administratif, le contribuable a fait appel.
Solution. La cour administrative d’appel de Lyon rappelle qu’en instaurant ce mécanisme de report d’imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d’entreprises par échange de titres en évitant que l’imposition immédiate de la plus-value fasse obstacle à sa réalisation. Il en a cependant limité le champ aux seules opérations pour lesquelles l’échange de titres n’est accompagné du versement de liquidités que dans une faible proportion, pour éviter que des opérations puissent en bénéficier alors qu’elles ne se limitent pas à un échange de titres mais dégagent également une proportion significative de liquidités (C. const. n° 2017-638 QPC, 16-6-2017).
Toutefois, selon la cour, le législateur n’a pas entendu exclure la possibilité pour l’administration de faire application de la procédure d’abus de droit aux opérations d’apports avec soulte lorsque le montant de celle-ci est inférieur à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, lorsque les conditions de mise en œuvre de cette procédure sont réunies.
Par conséquent, l’administration peut recourir à cette procédure pour restituer le véritable caractère de distributions aux versements de soulte réalisés à l’occasion d’apports placés sous le régime du report d’imposition et montrer dans quelle mesure il a été fait une application de ces dispositions dans le seul but de percevoir ces sommes en franchise d’imposition dès lors qu’il s’avère que le versement de soultes ne présente pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport et n’est motivé que par la seule volonté de l’apporteur d’échapper à l’impôt en tout ou partie. Or, en l’espèce, les soultes, légèrement inférieures à 10 % de la valeur nominale des titres, ont été portées au crédit du compte courant d’associé du contribuable au sein de la société holding. Cette dernière ainsi que les deux SAS ont également procédé à d’importantes distributions de dividendes. La société holding ne disposait ainsi plus d’aucune dette à l’égard de son associé.
La cour considère dès lors que l’administration a apporté des éléments suffisamment précis attestant que la stipulation de soultes légèrement inférieures à 10 % de la valeur nominale des titres, leur inscription en compte courant et l’apurement de ces créances à bref délai ont permis au contribuable d’appréhender en franchise d’impôt des liquidités substantielles provenant desdits dividendes. Si le contribuable faisait valoir que l’opération d’apport avec soulte s’inscrivait dans une stratégie destinée à renforcer la pérennité du groupe, la cour a toutefois considéré qu’il n’apportait pas la preuve que l’émission de soultes était justifiée par un motif autre que la volonté d’atténuer les charges fiscales de son foyer. Par conséquent, l’abus de droit a bien été établi.
Conclusion. Cette décision s’inscrit dans la lignée d’un jugement rendu par le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil 16-7-2019 n° 1811931) qui avait considéré l’existence d’un abus de droit même avec une soulte inférieure à 10 %, dès lors qu’il n’y avait pas de nécessité manifeste du versement de ladite soulte à l’opération de restructuration.
CAA Lyon 5-5-2022 n° 20LY01202
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