Mise à disposition à titre gratuit d’un immeuble : rappel des basiques

La renonciation des propriétaires bailleurs aux fermages dus par leur fils s’assimile à une mise à disposition à titre gratuit de biens agricoles constitutive d’un avantage indirect, mais celui-ci n’est rapportable que si la preuve de leur intention libérale est rapportée.

Des parents décèdent en 2006 laissant pour leur succéder leurs quatre enfants. De leur vivant, ils avaient affermé au profit de l’un de leur fils et de son épouse un corps de ferme et des parcelles de pâture. Le fermage annuel s’élevait alors à 20 045,27 F, actualisé chaque année pour les bâtiments d’exploitation et les terres. En réalité, les loyers n’ont jamais été ni réclamés ni payés. À l’ouverture des successions, les cohéritiers en réclament le rapport à la succession.

La cour d’appel leur donne raison : la mise à disposition d’un bien immobilier à titre gratuit constitue un avantage indirect et rapportable par son bénéficiaire à la succession de ses parents.

La Cour de cassation censure l’analyse des juges du fond. Seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession. Or, l’intention libérale des parents envers leur fils n’a pas été caractérisée.

Commentaire

Cette affaire, jugée en application du droit antérieur à la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, reste d’actualité. Elle est l’occasion de balayer les différents moyens juridiques que peuvent emprunter la mise à disposition d’un immeuble au profit d’un héritier et son traitement liquidatif afférent. Dans l’affaire évoquée ici, la mise à disposition a pris la forme d’un bail à ferme. Très souvent, il s’agit d’une simple situation de fait, à savoir l’occupation du bien sans autre formalisme. Un avantage indirect est constitué dès lors qu’aucun loyer ou indemnité d’occupation n’est payé. Pour autant, un tel avantage n’est pas, en soi, rapportable ; seule une libéralité l’est. La requalification en donation de l’hébergement à titre gratuit par le défunt au profit de l’un de ses héritiers suppose un acte d’appauvrissement qui procède d’une intention libérale (Cass. 1e civ. 18-1-2012 n° 09-72.542, 10-27.325 et 11-12.863). Deux éléments doivent être caractérisés :

- le premier, l’élément matériel, suppose un appauvrissement actuel et irrévocable du disposant et un enrichissement corrélatif du bénéficiaire (dans l’espèce ici commentée, l’absence de paiement des fermages ; dans l’hypothèse d’une simple mise à disposition, l’absence de loyer) ;
- le second critère, l’élément intentionnel, implique de la part du disposant la volonté de s’appauvrir. C’est ce critère, dont la preuve est difficile à rapporter, qui fait le plus souvent défaut et la présente affaire en est une démonstration. La mise à disposition à titre gratuit d’un immeuble au profit d’un héritier peut également prendre la forme d’un prêt à usage lequel est incompatible avec la qualification d’avantage indirect rapportable.

Enfin, la requalification en donation est également écartée lorsque la mise à disposition d’un hébergement :

- correspond à l’exécution d’une obligation légale, comme celle de contribuer à l’entretien et à l’éducation des enfants,
- ou trouve une contrepartie onéreuse.

 

Source : Cass. 1e civ. 12-1-2022 n° 20-14.455 F-D

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