Loi du 31 janvier 2022 : mettre fin aux thérapies de conversion

Quarante ans après la loi du 4 août 1982 qui mettait un terme à la pénalisation des relations sexuelles homosexuelles, la loi n° 2022-92 du 31 janvier 2022 poursuit cette œuvre législative et insère dans le code pénal une nouvelle incrimination réprimant la pratique dite « des thérapies de conversion ». Cette loi, si elle est très courte puisqu'elle ne comprend que quatre articles, revêt une dimension symbolique importante.

La création d'une infraction punissant les pratiques destinées à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre

Le 1er mars 2018, le Parlement européen adoptait une résolution sur la situation des droits fondamentaux dans l'Union européenne (2017/2125(INI)), au sein de laquelle il se félicitait « des initiatives interdisant les thérapies de conversion pour les personnes LGBTI et la pathologisation des identités transsexuelles » et priait « instamment tous les États membres d'adopter des mesures similaires qui respectent et défendent le droit à l'identité de genre et l'expression de genre » (pt 65). Prenant acte de cette résolution, la loi n° 2022-92 du 31 janvier 2022, interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne, crée une nouvelle incrimination au sein du chapitre V du code pénal relatif aux atteintes à la dignité des personnes. Le chapitre V est donc désormais doté d'une nouvelle section 1 quinquies, qui contient un unique article 225-4-13. En vertu de cet article :

« Les pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, vraie ou supposée, d'une personne et ayant pour effet une altération de sa santé physique ou mentale sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende ».

Les peines sont aggravées et font encourir trois ans d'emprisonnement et 45 000 € lorsque les faits sont commis sur une victime vulnérable (mineur ou victime particulièrement vulnérable pour une autre raison que la minorité), en présence d'un mineur, par un ascendant ou toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait, une pluralité d'auteur ou par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne, par le biais d'un support numérique ou électronique.

Une finalité claire : lutter contre les pratiques dites de thérapies de conversion

Que penser de ce nouvel article 225-4-13 du code pénal ? Ce texte vise à sanctionner celui qui, par ses agissements, tend à la modification ou à la répression de l'orientation sexuelle ou l'identité de genre de la victime. La finalité de la loi est claire, il s'agit de lutter contre les pratiques dites de thérapies de conversion, qui peuvent prendre la forme, comme le soulignait la proposition de loi, « d'entretiens, de stages, d'exorcisme ou encore de traitements par électrochocs et injection d'hormones. Elles peuvent également altérer le jugement de la victime en lui faisant croire qu'une modification de son orientation sexuelle ou de son identité de genre est possible » (proposition de loi n° 4021, 23 mars 2021). Toutefois, ce but, si louable soit-il, ne suffit pas à construire une loi claire et précise conforme aux exigences du principe de légalité.

Une rédaction complexe : les incertitudes de l'article 225-4-13

La loi du 31 janvier 2022 est ainsi complexe dans sa rédaction et laisse planer plusieurs incertitudes.

Tout d'abord, le comportement incriminé se caractérise par des pratiques, comportements ou propos répétés. On peut regretter l'emploi de termes proches comme pratiques et comportements dont on peine à saisir la différence : une pratique n'est-elle pas un comportement ?

Ensuite, l'adjectif « répétés », qui qualifie les pratiques, comportements et propos, restreint le champ d'application de la nouvelle infraction qui ne trouvera donc pas à s'appliquer pour une pratique, un comportement ou un propos unique. La condition de répétition des actes fait de l'interdiction des thérapies de conversion une infraction d'habitude. La consommation de l'infraction exige par conséquent au moins une seconde réalisation de l'acte matériel, ce qui est cohérent pour les propos – on peut concevoir qu'un unique propos ne soit que rarement susceptible d'altérer la santé physique ou mentale de la victime. En revanche, pour les comportements ou pratiques, l'exigence de répétition est plus étonnante. Une pratique visant à modifier ou réprimer l'orientation sexuelle ou l'identité de genre peut, à elle seule, atteindre un seuil de gravité suffisant pour constituer une atteinte à la victime. On rappellera que, dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, les exemples de pratiques sont notamment le traitement par électrochoc ou l'ingestion d'hormones. De telles pratiques nécessitent-elles vraiment une répétition pour atteindre une gravité suffisante pour justifier une sanction pénale ?

Enfin, l'incrimination réprime les actes « visant à modifier ou à réprimer l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, vraie ou supposée, d'une personne et ayant pour effet une altération de sa santé physique ou mentale ». Les actes prohibés doivent répondre à une double condition. En premier lieu, l'acte ou le propos doit viser un but précis défini comme modifier ou réprimer l'orientation sexuelle ou l'identité de genre de la victime. La finalité précise de l'acte risque parfois de susciter des difficultés probatoires. En second lieu, ils doivent avoir pour effet une altération de la santé physique ou mentale de la victime. L'atteinte à la santé de la victime est formulée comme un résultat qui doit être atteint par la pratique incriminée. Il s'agit donc d'une infraction matérielle dont le résultat fait partie intégrante de la matérialité.

Les conséquences de la commission de l'infraction

La loi du 31 janvier 2022 prévoit un panel de conséquences en cas de commission du nouveau délit.

Ainsi, lorsque l'infraction est réalisée par une personne titulaire de l'autorité parentale sur le mineur, la juridiction de jugement se prononce sur le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou sur le retrait de l'exercice de cette autorité en application des articles 378 et 379-1 du code civil.

De plus, la loi modifie l'article 2-6 du code de procédure pénale pour élargir aux associations l'exercice des droits reconnus à la partie civile en cas d'infraction de thérapie de conversion.

En outre, la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique est renouvelée en son article 6 pour que les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne concourent à la lutte contre la diffusion et donc l'apologie de diverses infractions dont le délit de lutte contre les thérapies de conversion.

Enfin, l'article 132-77 du code pénal qui énonce les circonstances aggravantes de discrimination est exclu pour l'application de la nouvelle incrimination qui sanctionne un comportement intrinsèquement discriminatoire et donc ne peut se cumuler avec la circonstance aggravante du même chef de discrimination.

La thérapie de conversion illicite mais le dialogue autorisé

L'article 225-4-13 du code pénal précise que :

L'infraction n'est pas constituée « lorsque les propos répétés invitent seulement à la prudence et à la réflexion, eu égard notamment à son jeune âge, la personne qui s'interroge sur son identité de genre et qui envisage un parcours médical tendant au changement de sexe ».

Ainsi, la loi opère une distinction entre des propos répétés illicites visant à imposer une conversion et des propos relevant d'un dialogue autorisé. Une telle précision légale ne manque pas de surprendre. La rédaction du texte ne laisse pas penser qu'il s'agit d'une autorisation de la loi intervenant comme un fait justificatif. La précision légale semble être davantage conçue comme une disposition interprétative, une alerte destinée aux juges afin de les sensibiliser à la différence à opérer entre des propos illicites car de nature à entraîner une atteinte à la victime et des propos bienveillants destinés uniquement à inciter le destinataire à la prudence et la réflexion.

Cette disposition ne vise que les « propos répétés » et non les pratiques et comportements qui paraissent ne jamais pouvoir être licites puisqu'ils ne pourraient pas être perpétrés dans un contexte bienveillant. La loi protège donc les thérapies qui auraient pour objet l'accompagnement d'une personne dans son questionnement quant à son orientation sexuelle ou son identité de genre.

Toutefois, une telle précision n'est pas nécessaire dès lors que les propos incriminés sont ceux qui altèrent la santé physique ou mentale du destinataire et donc qu'un dialogue ou une thérapie d'accompagnement ne remplissent pas cette condition d'une atteinte à la personne. L'opportunité de cet alinéa au sein de l'article 225-4-13 n'est pas efficiente, sauf à imaginer que le législateur considère son propre texte d'incrimination insuffisamment explicite pour éviter des poursuites abusives contre des auteurs de propos amicaux, ce qui serait l'aveu d'un échec dans la rédaction de la norme.

L'interdiction de pratiques médicales

L'article 3 de la loi du 31 janvier 2022 ajoute un article L. 4163-11 dans le code de la santé publique ainsi rédigé :

« Le fait de donner des consultations ou de prescrire des traitements en prétendant pouvoir modifier ou réprimer l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, vraie ou supposée, d'une personne est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. »

La commission du délit peut également entraîner une interdiction d'exercer la profession de médecin pour une durée ne pouvant excéder dix ans. Le délit est assorti de circonstances aggravantes lorsque la pratique médicale est perpétrée au préjudice d'un mineur ou d'une personne vulnérable.

Comme pour le délit de l'article 225-4-13 du code pénal, l'exercice de la pratique médicale prohibée ne doit pas se confondre avec le fait pour un professionnel de santé à inviter « à la réflexion et à la prudence, eu égard notamment à son jeune âge, la personne qui s'interroge sur son identité de genre et qui envisage un parcours médical tendant au changement de sexe ». Faire usage de ses compétences médicales pour prétendre pouvoir influer sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne est interdit mais échanger et exposer à un patient le parcours médical afférent à un changement de sexe est licite. Une telle précision relevant du bon sens était-elle vraiment indispensable dans la loi ?

L'usage de la fonction expressive du droit pénal

La loi du 31 janvier 2022 a une forte dimension symbolique. Elle reflète l'expression d'une volonté politique de lutter contre les thérapies de conversion et donc de renforcer la protection des victimes de discriminations liées à leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, réelle ou supposée. La dimension symbolique de la loi est révélée par le fait que les comportements visés par la nouvelle incrimination pouvaient déjà faire l'objet de sanctions pénales sur divers fondements comme les violences volontaires ou le harcèlement moral (C. pén., art. 222-33-2-2). La nouvelle incrimination ne répond pas aux exigences du principe de nécessité, la loi pénale antérieure permettant déjà de garantir la protection de la valeur sociale en cause. La loi du 31 janvier 2022 ajoute donc une incrimination non nécessaire.

Mais la consécration par le droit pénal de cet interdit renforce la visibilité de la lutte contre les discriminations. Le recours au droit pénal est opéré afin d'user de sa fonction expressive ce que l'on peut déplorer au regard de l'inflation normative très importante en la matière mais que l'on peut comprendre car il permet de consacrer une réprobation forte des thérapies de conversion. Cette démarche d'user de la fonction expressive du droit pénal était d'ailleurs clairement énoncée dans le rapport n° 294 fait au nom de la commission mixte paritaire et déposé le 14 décembre 2021 qui soulignait que « ce texte enverra un signal fort marquant le refus par la représentation nationale des pratiques d'un autre âge qui prétendent modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre ». Reste à espérer que ce signal fort soit bien entendu.

 

Par Audrey Darsonville

L. n° 2022-92 du 31 janv. 2022, JO 1er févr.

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