Loi de gestion sanitaire : une Assemblée en campagne

Lundi soir, l'Assemblée a échoué à étudier toute la loi de gestion de crise sanitaire comme cela était prévu. Le gouvernement s'est fait battre sur un vote procédural. Les débats ont également été marqués par la campagne présidentielle. Récit d'un débat tendu.

Depuis deux ans, le Parlement vit au gré des lois de gestion de crise sanitaire. Comme il s'agit d'un régime d'exception, il est temporaire. Le gouvernement doit donc régulièrement repasser devant le Parlement, en profitant pour demander à chaque fois de nouveaux outils. Ces textes sont des moments de tension pour la majorité. Ainsi, en octobre, lors de l'étude de la précédente loi, certains articles n'étaient passés qu'à une voix. À l'époque, le gouvernement insistait pour qu'il n'y ait pas de nouveau passage au Parlement avant juillet, quand l'opposition demandait une clause de revoyure en février.

Deux mois après, branle-bas de combat dans la majorité. Face à l'arrivée du variant omicron, le gouvernement veut transformer le passe sanitaire en passe vaccinal. Alors qu'il semblait en octobre impossible d'avoir une nouvelle loi avant mars, le gouvernement fait siéger les députés en commission entre Noël et le Jour de l'an. Et ce, seulement 48h après le dépôt du texte. L'urgence n'apparaît pourtant pas évidente : que le passe vaccinal entre en vigueur quelques jours après, ne changera pas fondamentalement la gestion de l'épidémie. Mais il s'agit d'aller vite pour respecter la parole présidentielle.

Cette gestion de crise étant présidentielle, le débat parlementaire s'est transformé en débat électoral. C'était d'abord visible chez les républicains et les socialistes. Si Valérie Pécresse et Anne Hidalgo ne sont pas députées, elles se sont déclarées favorables au texte. Leurs députés, hier à la pointe de l'opposition doivent modérer leurs critiques. Les Républicains ont même voté contre la motion de rejet préalable, quand ils la portaient en octobre.

« Voilà ce qui vous manque, monsieur le ministre : la confiance ! »

Faute de Républicains, c'est Jean-Luc Mélenchon qui prend le rôle de premier opposant au texte en portant une motion de rejet. Il dresse un réquisitoire contre l'absence de plan global du gouvernement qui préfère une série « de mesures de coercition enrobées de bavardage sur ceux qui ont le droit de manger ou pas du pop-corn au cinéma et de boire un café debout ou assis. » Et conclut : « Ne croyez pas que vous aurez plus de sûreté sanitaire parce que vous aurez moins de libertés. Les restrictions de liberté ont toujours été l'illusion de ceux qui croient à l'efficacité du tout, tout de suite et sans discussion. Au contraire, la liberté est la meilleure des protections. La liberté est la meilleure incitation à l'intelligence collective. »

En réponse Olivier Véran : « J'ai le regret de vous dire que, par le passé, vous vous êtes tellement trompé qu'il est difficile aujourd'hui de vous prêter la même attention. Un florilège : vous avez comparé le vaccin à ARN messager à "des surgelés vendus dans des supermarchés". Vous avez parlé de ce "machin" Pfizer que jamais, jamais, vous ne recevriez. Je crois savoir que vous avez reçu votre troisième dose de Pfizer. Vous avez mis en cause la qualité d'études cliniques validées dans le monde entier. […] Peut-être que vous visez à attirer l'attention d'une partie de la population contestataire, qui ne veut pas du vaccin, qui ne veut pas du passe, pour l'inviter à vous rejoindre sous votre bannière. Or, monsieur le président Mélenchon, vous n'êtes pas le seul à brandir cette bannière : il y monsieur Dupont-Aignan, madame Le Pen et monsieur Philippot sont sur ce même créneau, de faire appel à la peur. »

Si les députés LR sont collectivement favorables au texte, nombre d'entre eux continuent à montrer leurs oppositions. Le groupe reste tiraillé. Pour le député LR Aurélien Pradié, porte-parole de Pécresse : « Voilà ce qui vous manque, monsieur le ministre, la confiance. C'est la seule clé d'une politique de santé publique. Cette confiance elle vous manque parce que vous avez menti, vous avez mille fois menti. Menti sur la vaccination, qui devait mettre un terme à toute la crise sanitaire, menti sur les masques, menti sur le réarmement des lits de réanimation, menti sur le contrôle d'identité, qui ne devait être fait que par des policiers. Menti mille fois ».

« Ma liberté aujourd'hui elle est là, c'est 30 centimètres de câbles et 3 kilos de matériel »

Mais le débat sur la crise sanitaire n'est pas que présidentiel, il est aussi personnel. Ainsi, le député LREM Raphaël Gérard : « Nous sommes en train de parler d'un sujet qui a fait 130 000 morts, qui a fait des dizaines de milliers de personnes, qui comme moi, vont devoir vivre avec les conséquences du covid. On peut brandir la liberté dans tous les sens. […] Ma liberté aujourd'hui elle est là, c'est 30 centimètres de câbles et 3 kilos de matériel que je porte 24h sur 24 jusqu'à la fin de mes jours. Quand je prends le train, je ne me demande pas si je peux manger des cacahuètes mais si j'en sortirai sain et sauf. »

La charge émotionnelle est forte. En réponse, la députée LFI Caroline Fiat, qui, durant la crise, est redevenue aide soignante à l'hôpital : « Sur ces bancs, certains ont mis des gens dans les housses. N'oubliez pas qu'il y a des soignants qui ont souffert d'avoir accompagné des gens qui en sont décédés. S'il vous plaît, pas de culpabilisation ! Ces derniers mois, tout le monde a souffert. »

« La chloroquine, madame Wonner, ça ne se fume pas ! »

Le soir, la séance traîne. L'hémicycle est plein (les cérémonies de vœux étant annulées, les agendas des députés sont libres), et la présidente de séance restreint peu les débats. Plusieurs candidats à la présidentielle – Marine le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle – interviennent à leur tour, et les interpellations ont rarement de lien avec les amendements. En face, c'est surtout le ministre Olivier Véran, fidèle à sa réputation de puncheur, qui réplique (« la chloroquine, madame Wonner, ça ne se fume pas ! »).

Il reste plus de 500 amendements et l'Assemblée avance à un train de sénateur. Nous sommes en semaine de contrôle et le calendrier parlementaire n'est donc pas très souple. La majorité veut finir les débats dans la nuit. Comme le prévoit le règlement, l'assemblée est consultée par un vote à minuit. Mais surprise, après un long décompte, le gouvernement est battu. Les députés LR ont massivement voté contre la prolongation : il est plus simple de s'opposer à un vote procédural, qu'au texte en lui-même. Et la majorité n'ayant pas vu le risque arriver, ne s'est pas suffisamment mobilisée. Un incident qui fait tâche. Les débats reprendront ce mardi après-midi pour, normalement, finir dans la nuit ou mercredi après-midi.

 

Par Pierre Januel

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