Les enseignements de la chambre criminelle sur l'intention en matière de fraude fiscale
Un professionnel de l'immobilier ne peut valablement invoquer sa méconnaissance des règles fiscales et les mauvais conseils de son notaire et de son expert-comptable pour écarter la caractérisation de l'intention en matière de fraude fiscale
Le présent arrêt vient préciser les contours de l'élément intentionnel nécessaire pour caractériser le délit de fraude fiscale.
En l'espèce, une société a acquis en 1995 un immeuble afin d'y réaliser des travaux de rénovation et diviser l'immeuble en plusieurs appartements à des fins locatives. Ces appartements seront vendus en 2011 et 2012. La société a déclaré les plus-values générées par la vente de ces appartements au titre de l'impôt sur les sociétés pour lequel elle avait antérieurement opté. Elle décidait ainsi d'appliquer le régime des plus-values à long terme provenant de la cession d'éléments d'actifs immobilisés pour lesquels s'appliquait un taux d'imposition de 15 %. Pour l'administration fiscale, les produits déclarés étaient soumis à l'impôt sur les sociétés et les plus-values immobilières auraient dû se voir appliquer un taux d'imposition de 33,1/3 % pour la partie supérieure à 38 120 €.
Le gérant de cette société était renvoyé devant le tribunal correctionnel au motif qu'il se serait frauduleusement soustrait à l'établissement ou au paiement de l'impôt sur les sociétés pour les exercices clos les 31 décembre 2011 et 2012. Le 18 février 2019, il était condamné par le tribunal correctionnel à six mois d'emprisonnement avec sursis et à 50 000 € d'amende. Il était également condamné, solidairement avec la société, au paiement de l'impôt fraudé ainsi qu'à celui des majorations et pénalités.
Un appel était interjeté. La cour d'appel décidait de confirmer la décision de culpabilité. Elle réformait néanmoins la peine prononcée en aggravant la peine d'emprisonnement à dix mois avec sursis et diminuait la peine d'amende à 30 000 €.
Un pourvoi était alors formé devant la chambre criminelle. Le requérant critiquait l'arrêt litigieux de l'avoir déclaré coupable de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt au moyen de trois arguments divisés en trois branches.
Les arguments du gérant en faveur de sa bonne foi
Tout d'abord, le requérant faisait valoir que le manquement à une réglementation fiscale n'est pénalement punissable que s'il est commis en connaissance de cause. En l'état des poursuites, il était reproché au requérant d'avoir déclaré des plus-values à un taux indu. Si bien qu'en retenant que l'intéressé ne pouvait ignorer que cette société était soumise à l'impôt sur les sociétés pour caractériser l'élément intentionnel, la cour d'appel a méconnu les exigences des articles 1741 du code général des impôts, L. 227 du livre des procédures fiscales et 121-3 du code pénal.
La seconde branche du moyen mettait en évidence la nécessité pour la cour d'appel d'établir le fait qu'il appartenait à l'accusation de prouver que la tentative de soustraction à l'impôt reprochée au contribuable avait été faite en connaissance de cause. Pour le requérant, le seul fait d'indiquer un taux d'imposition erroné dans une déclaration fiscale qui ne contient aucune dissimulation sur la nature et le montant des sommes assujetties à l‘impôt n'est pas constitutif d'une fraude. L'état des poursuites reprochait au requérant d'avoir opté pour une imposition de 15 % alors qu'une imposition de 33,1/3 % s'appliquait pour les sommes supérieures à 38 120 €. La cour d'appel relevait sur ce point que le requérant « avait été gérant dans le secteur immobilier depuis de nombreuses années et qu'il aurait dû, en cas de doute et compte tenu de l'importance de l'opération prendre l'attache de l'administration pour vérifier le régime fiscal applicable, n'a pas constaté la connaissance par le prévenu du caractère erroné du taux qu'il faisait figurer sur cette déclaration et a par suite violé les articles 121-3 du code pénal, 1741 du code général des impôts et L. 227 du livre des procédures fiscales ».
Enfin, le requérant reprochait à l'arrêt d'appel ne pas avoir répondu à ses conclusions, lesquelles mettaient en exergue qu'il avait cru de bonne foi sur les conseils de son expert-comptable, que le taux applicable à cette plus-value était de 15 % puisque ce taux s'appliquait lors de l'acquisition des biens litigieux, qu'au surplus ce taux avait été modifié à près de trente reprises depuis 1995 et qu'il n'avait en outre, jamais jusqu'aux opérations litigieuses, été amené à faire application du taux d'imposition spécial de 33,1/3 %. Le requérant reprochait ainsi à la cour d'appel d'avoir violé les dispositions des articles 485 et 593 du code de procédure pénale.
Des arguments écartés car le gérant était familier des règles fiscales applicables
La chambre criminelle s'est livrée dans cet arrêt à une véritable analyse des conditions permettant de retenir l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale.
Elle optait ici pour une approche in concreto en retenant que, « pour établir l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale dont il déclare le prévenu coupable, l'arrêt attaqué énonce, notamment, par motifs propres et adoptés, que le prévenu, s'il avait auparavant exercé dans la restauration, était cependant gérant dans le secteur immobilier depuis de nombreuses années, et qu'il ne peut donc valablement invoquer sa méconnaissance des règles fiscales et de mauvais conseils du notaire et de son expert-comptable, puisqu'il a antérieurement personnellement géré son bien immobilier et bénéficié d'une imposition favorable pendant de nombreuses années ».
La Cour confirmait la lecture des juges d'appel, lesquels avaient précisé dans leur arrêt qu'il appartenait au requérant, compte tenu de l'importance de l'opération et en cas d'hésitation, de prendre l'attache de l'administration fiscale afin de s'assurer du régime fiscal applicable.
Elle terminait en relevant qu'« en l'état de ces seules énonciations, dont il résulte que le prévenu, familier des règles fiscales d'un secteur professionnel dans lequel il évoluait depuis longtemps, et qui ne saurait exciper de sa propre négligence pour échapper à ses obligations fiscales, la cour d'appel, qui a en outre ainsi répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ». Elle écartait ainsi le moyen et rejetait le pourvoi.
En résumé, il convient à l'accusation d'apporter la preuve que le contribuable a agi délibérément. La preuve du caractère volontaire des agissements constatés est ainsi une condition nécessaire et suffisante du délit, si bien que l'infraction est caractérisée dès lors que l'auteur de l'infraction a été animé par une volonté de fraude, peu importe l'existence de manœuvres frauduleuses (Rép. pén., v° Fraude fiscale, par B. Thevenet).
Une telle décision s'inscrit dans la jurisprudence traditionnelle de la chambre criminelle et fait écho à un arrêt de 2011 au terme duquel un prévenu avait été déclaré coupable des chefs de fraude fiscale et d'omission d'écritures en comptabilité dès lors que celui-ci « qui indique être titulaire d'une licence en droit et avoir une formation de management, connaissait nécessairement ses obligations fiscales et avait conscience de s'y soustraire » (Crim. 12 janv. 2011 n° 10-81.151, Dalloz actualité, 1er févr. 2011, obs. M. Bombled ; D. 2011. 377 ; RSC 2011. 624, obs. S. Detraz ).
Par Pauline Dufourq
Crim. 25 mai 2022, F-B, n° 20-86.306
© Lefebvre Dalloz