Les débuts prudents du pôle parisien du Parquet européen

Après quatre mois d'activité, le chef de la délégation française du Parquet européen dresse un premier bilan de cette nouvelle autorité judiciaire très attendue.

Des débuts prudents, un nombre d'affaires hexagonales plus faible que prévu, mais une articulation entre niveau central et régional jugée satisfaisante. Plus de quatre mois après l'entrée en fonctions opérationnelles du Parquet européen, il est déjà temps de dresser un premier état des lieux. « S'il est trop tôt pour tirer un vrai bilan, nous avons suffisamment de recul pour dire que cela fonctionne », nuance David Touvet, le chef de la délégation du Parquet européen en France.

Rassemblant 22 pays, dont la France, le Parquet européen compte 98 procureurs européens délégués, 22 procureurs européens, dont le français Frédéric Baab, et une procureure en chef, la roumaine Laura Codruta Kövesi. Il est compétent pour les atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne. Autrement dit, ces magistrats sont chargés de traquer les fraudes au budget européen, des fraudes à la TVA aux détournements de fonds en passant par des infractions douanières ou de contrebande.

Une fraude évaluée à au moins 50 milliards d'euros par an. Le Parquet européen aura également la charge de contrôler la bonne utilisation du plan de relance de l'Union européenne, doté de plus de 800 milliards d'euros.

La structure, inédite, est un quasi-embryon d'un parquet fédéral européen, qui questionne la justice française. Les procureurs européens réunissent, en effet, les prérogatives des juges d'instruction et du parquet, l'organisation majoritaire en Europe. Un point regardé de très près par les syndicats de magistrats. L'USM avait ainsi regretté que cette création n'ait pas poussé le législateur français à s'en inspirer, « le statut du parquet à la française étant incompatible avec les standards européens ». Unité Magistrats avait également demandé dans la foulée une refonte du statut des magistrats du parquet, tandis que le Syndicat de la magistrature s'était inquiété de ce potentiel premier pas vers la suppression du juge d'instruction.

« Dans notre mode de fonctionnement, nous sommes plus proches du parquet que du cabinet : nous travaillons en collégialité et nous échangeons entre nous avant chaque nouvelle décision », signale David Touvet. « Mais si nous restons un parquet, nous construisons également de nouvelles relations avec le juge des libertés et de la détention, ajoute-t-il. C'est lui qui délivrera par exemple nos mandats d'arrêts ou qui autorise les saisies spéciales ».

Île de la Cité

À Paris, les quatre magistrats du pôle parisien du Parquet européen ont profité de l'été pour prendre leurs marques. Le recrutement du cinquième magistrat prévu est encore en cours à la suite d'un désistement. Ils sont enfin assistés de quatre greffiers et d'un assistant spécialisé. Affectés au tribunal judiciaire de Paris, les magistrats sont en position de détachement, un statut qui doit permettre de garantir leur indépendance. Mais alors qu'il avait été envisagé de s'installer à proximité des locaux du parquet national financier, les magistrats se sont finalement installés sur l'Île de la Cité. Faute de place au nouveau Palais de justice des Batignolles, déjà plein.

Les cartons ont toutefois très vite été déballés pour rentrer dans le vif du sujet. « Il a fallu s'occuper de l'intégration du Parquet européen dans les applications du ministère de la Justice, comme Cassiopée ou la procédure pénale numérique, détaille David Touvet. Nous avons également consacré nos premiers mois à rencontrer nos nouveaux interlocuteurs : la Direction générale des finances publiques, les douanes, Tracfin, la Cour des comptes, et bien sûr tous les services d'enquête judiciaire. Et nous avons enfin commencé à nous constituer un portefeuille de dossiers et à ouvrir nos premières enquêtes. »

C'est un procureur européen allemand qui est à l'origine de la première saisine des magistrats parisiens du Parquet européen. Il a sollicité ses confrères pour des informations sur des sociétés suspectes dans le cadre d'une fraude à la TVA. « Sans le Parquet européen, ce magistrat allemand aurait dû émettre une décision d'enquête européenne, avec un délai de transmission des informations qui aurait été significatif », remarque David Touvet. « Cette première est symbolique à nos yeux, car le couple franco-allemand a poussé pour la création de ce parquet », ajoute-t-il.

Seulement cinq dossiers repris

Si les saisines en provenance d'autres États européens représentent environ un quart de l'activité, le gros du travail va être centré sur les affaires hexagonales. Mais pour le moment, la moisson est plus faible qu'attendue. L'étude d'impact tablait sur 60 à 100 dossiers par an en provenance des douanes, du parquet national financier, et des juridictions interrégionales spécialisées. Pour l'instant, seuls une quarantaine de signalements – venus essentiellement de l'Office européen de lutte antifraude et des douanes – ont été enregistrés au pôle parisien du Parquet européen. Qui n'a repris à son compte que cinq dossiers.

« C'est une chance, nous ne sommes pas saisis de faits trop anciens », synonymes de dossiers parfois difficiles à démêler, philosophe David Touvet. Le Parquet européen n'est, en effet, compétent que pour des faits postérieurs à novembre 2017. Au global, le Parquet européen a reçu environ 2 000 signalements – 700 de personnes privées et 1 300 d'autorités judiciaires ou d'administrations –, ce qui représente 350 enquêtes en cours, soit un préjudice évalué à plus de 4,5 milliards d'euros.

Pour garantir une « approche objective des dossiers », les affaires sont suivies à la fois par l'échelon local et par l'une des quinze chambres permanentes, qui contrôlent les investigations, de l'ouverture des enquêtes à l'exercice des poursuites. Une organisation complexe, nécessitant une traduction automatique des dossiers en anglais, qui a fonctionné « de manière fluide » cet été, assure David Touvet.

Le pôle parisien du Parquet européen espère cependant rapidement augmenter son volume d'affaires. « Nous devons faire connaître notre existence à différentes administrations et créer une culture de relation judiciaire, signale son chef. Il peut y avoir notamment une frilosité à faire des signalements, à cause de questionnements sur sa responsabilité. » De manière plus générale, ce nouveau parquet a justement été créé à cause du constat, sur ce contentieux très technique et rare, d'un faible niveau de détection de la fraude et de judiciarisation. Ce qui explique la prudence des magistrats français, très discrets sur les dossiers traités, qui se savent attendus également sur le plan de la procédure.

 

Par Gabriel Thierry

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