Le secret médical n'est pas un totem d'immunité disciplinaire
Un salarié professionnel de santé ne peut opposer à son employeur le secret médical pour empêcher ce dernier de se fonder sur des informations médicales concernant des patients afin de sanctionner les fautes commises par le salarié dans le suivi de soins des patients.
L'opposabilité du secret médical est une question qui peut aussi parfois prendre corps dans l'environnement du droit du travail et venir heurter certaines procédures de recueil d'information. Il a, par exemple, été jugé que l'expert mandaté par le CHSCT en application de l'article L. 4614-12 du code du travail n'est pas dépositaire du secret médical, de sorte que le directeur d'un centre hospitalier peut refuser à l'expert l'accès aux blocs opératoires pendant les interventions et aux réunions quotidiennes des équipes médicales (Soc. 20 avr. 2017, n° 15-27.927 P, Dalloz actualité, 5 mai 2017, obs. J. Siro ; D. 2017. 920 ; ibid. 2270, obs. P. Lokiec et J. Porta ). Lors de l'adoption de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, le législateur a du reste étendu le champ du secret au secteur social et médico-social (CSP, art. L. 1110-4), de sorte que celui-ci astreint désormais non seulement les membres des professions médicales et le personnel soignant en général, mais aussi toutes les personnes qui interviennent dans le système de santé. Cela comprend ainsi toute personne qui exerce sa profession au sein d'établissements de santé ou de cabinets médicaux, quelle que soit leur fonction, y compris administrative, et toutes les personnes qui sont en relation avec ces derniers. Mais dans quelle mesure un salarié sanctionné disciplinairement pourrait-il – ou non – se draper du secret médical des patients dont il a la charge pour s'affranchir de sa responsabilité disciplinaire ? C'est sur ce terrain que la chambre sociale de la Cour de cassation est intervenue le 15 juin 2022 avec une réponse sans ambages.
En l'espèce, une salariée, engagée en qualité d'infirmière par une association, s'est vue licenciée pour faute grave à la suite du décès d'une résidente d'EHPAD du fait d'une occlusion intestinale dont elle était chargée du suivi. L'intéressée a saisi les juridictions prud'homales afin de contester cette mesure.
Les juges du fond la déboutèrent toutefois de sa demande en estimant le licenciement fondé sur une faute grave. Avançant la violation par l'employeur du secret médical, l'intéressée forma un pourvoi en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation va toutefois rejeter le pourvoi par une motivation aussi courte que péremptoire.
Partant de l'interprétation combinée des articles L. 1110-4 et R. 4127-4 du code de la santé publique principe, la chambre sociale va rappeler que le secret professionnel est institué dans l'intérêt des patients, qu'il s'agit d'un droit qui leur est propre, instauré pour protéger leur vie privée et le secret des informations les concernant.
Elle va alors en déduire qu'un salarié professionnel de santé, participant à la transmission de données couvertes par le secret, ne peut se prévaloir, à l'égard de son employeur, d'une violation du secret médical pour contester le licenciement fondé sur des manquements à ses obligations ayant des conséquences sur la santé des patients.
La solution ne surprend guère. Il était en effet reproché à l'employeur, dans l'argumentaire de l'intéressée, de s'être référé aux dossiers médicaux de plusieurs patients, « dont la précision de la première lettre du nom ne garantissait pas un parfait anonymat ». Donner du crédit à l'argument d'une violation du secret professionnel d'un patient pour faire échec à une procédure disciplinaire visant à sanctionner les fautes commises par un soignant dans le suivi desdits patients reviendrait à neutraliser toute la latitude décisionnelle face à une dérive constatée par son personnel médical lorsqu'est en cause le suivi patient. La solution inverse conduirait en effet à ériger le secret médical en totem d'immunité disciplinaire, ce qui n'est pas son objet ni sa finalité. En d'autres termes, un salarié professionnel de santé ne peut pas opposer à son employeur le principe du secret médical pour l'empêcher de se fonder sur des informations médicales concernant des patients, afin de sanctionner des fautes commises par le salarié dans le suivi de soins des patients.
L'on notera du reste que dans cette hypothèse et dès lors que l'employeur ne divulgue pas d'informations médicales à propos des patients dont ses salariés peuvent avoir la charge à des personnes qui n'auraient pas à en connaître, l'argument d'une violation du secret médical apparaîtrait en tout état de cause hors de propos.
Si le raisonnement de la salariée aurait pu ici faire penser à celui tenu en matière de preuve déloyale, la jurisprudence considérant comme une preuve illicite un enregistrement d'images ou de paroles de salariés réalisé à leur insu, quels que soient les motifs justifiant cette mesure (Soc. 20 nov. 1991, Mme Neocel c. Spaeter, n° 88-43.120 P, D. 1992. 73 , concl. Y. Chauvy ; Dr. soc. 1992. 28, rapp. P. Waquet ; RTD civ. 1992. 365, obs. J. Hauser ; ibid. 418, obs. P.-Y. Gautier ), la situation nous apparaît incomparable et la solution non transposable dès lors qu'il n'est pas ici question d'une violation des droits du salarié lui-même, mais de ceux du patient dont il a la charge.
Les salariés confondus dans une procédure disciplinaire à propos d'une faute réalisée dans le suivi médical de patients devront donc concentrer leur argumentation sur le fond, soit l'existence ou la gravité de la faute reprochée, ou sur l'éventuelle irrégularité de la procédure disciplinaire, sans que le secret médical dont bénéficie le patient n'ait sa place dans l'argumentaire à opposer à l'employeur pour contester ses investigations.
Par Loïc Malfettes
Soc. 15 juin 2022, F-B, n° 20-21.090
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