La délégation de l'exercice de l'autorité parentale : usages et mésusages

L'usage particulier fait en Polynésie française de la délégation de l'exercice de l'autorité parentale en vue de l'adoption donne l'occasion à la Cour de cassation de fournir quelques précisions sur les usages et mésusages des dispositions de l'article 377, alinéa 1er, du code civil.

L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant et revenant en principe aux parents afin qu'ils puissent protéger l'enfant, assurer son éducation et permettre son développement (C. civ., art. 371-1). L'autorité parentale donne donc un pouvoir effectif d'organisation de la vie de l'enfant dont l'exercice doit pouvoir être aménagé et, le cas échéant, confié à un tiers s'il en va de l'intérêt de l'enfant. C'est tout l'objet de la délégation de l'exercice de l'autorité parentale des parents vers un tiers. Mais celle-ci ne pourrait-elle alors servir à contourner les règles de l'adoption ou l'interdit de la gestation pour autrui (GPA) ? C'est la question au cœur de l'arrêt rendu le 21 septembre 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

En l'espèce, un couple résidant en Polynésie française attend un enfant. Eu égard à des circonstances personnelles, ce couple envisage de confier l'enfant à naître et, dans cette perspective, est mis en relation avec un couple résidant en métropole. Par requête du 6 mai 2020, les couples ont conjointement présenté devant le juge aux affaires familiales (JAF) du tribunal de première instance de Papeete une requête aux fins de voir prononcer la délégation de l'autorité parentale sur l'enfant, né le 18 avril 2020 à Papeete. Par jugement du 12 août 2020, le JAF a accueilli la demande, dispensé les parents biologiques de toute participation aux frais d'entretien et d'éducation de l'enfant et dit que les délégataires devraient requérir l'organisation de la tutelle de l'enfant mineur. Sur l'appel interjeté par le parquet le 18 août 2020, la cour d'appel de Papeete a confirmé le jugement entrepris dans toutes ses dispositions par un arrêt du 29 avril 2021. Le procureur général près la cour d'appel de Papeete a formé un pourvoi en cassation comprenant 9 moyens. En substance, il soutient que la délégation aurait été prononcée en violation des articles 16-7 et 16-9 du code civil interdisant la GPA ainsi que des règles encadrant l'adoption d'un mineur de deux ans, les règles de la délégation n'ayant pas été respectées.

Au regard des circonstances de l'espèce, la cour de cassation rejette le moyen relatif à la GPA. Elle retient par ailleurs une interprétation souple de l'article 377 alinéa 1er du Code civil en considérant que « ces dispositions n'interdisent pas la désignation de plusieurs délégataires lorsque, en conformité avec l'intérêt de l'enfant, les circonstances l'exigent » et rejette également le pourvoi sur ce point. En revanche, elle retient que l'arrêt a violé l'article 377 du code civil quant à la désignation du délégataire. En effet, ce texte énumère précisément les personnes susceptibles d'être désignées délégataires dans le cadre d'une délégation volontaire : un membre de la famille, un proche digne de confiance, un établissement agréé pour le recueil des enfants ou un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Or, le couple délégataire ne pouvait sérieusement être regardé comme des proches du couple délégant. Revenant ainsi sur une solution ancienne développée par la cour d'appel de Papeete, la Cour de cassation considère que l'application immédiate de sa jurisprudence porterait une atteinte disproportionnée à l'intérêt supérieur de l'enfant ainsi qu'au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées. Elle écarte donc l'application immédiate de la jurisprudence nouvelle aux situations des enfants pour lesquels une instance est en cours et rejette par conséquent le pourvoi.
Par cette décision, la Cour de cassation ouvre donc les usages de la délégation d'autorité parentale tout en identifiant les mésusages de cette délégation.

Les usages renouvelés de la délégation de l'exercice de l'autorité parentale

A titre liminaire, rappelons que la délégation peut être volontaire et doit alors être justifiée par les circonstances, ou imposée par le juge sur demande d'un tiers, dans des situations relevant de la protection de l'enfance. « La délégation volontaire peut prendre deux formes : soit une délégation dite supplétive qui vise à suppléer la carence des parents qui ne peuvent faire face plus ou moins temporairement à leurs obligations soit une délégation partage qui est destinée à permettre à un tiers d'intervenir dans la vie de l'enfant alors même que les parents exercent leurs prérogatives » (rapport de Mme Azar, conseillère, p. 41).

La situation à l'origine de l'arrêt ici étudié est celle d'une délégation volontaire, reposant sur l'article 377 al. 1er du Code civil. Aux termes de ce texte, « les père et mère peuvent, ensemble ou séparément, […] saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l'exercice de leur autorité parentale à un tiers ». Cet usage du singulier se retrouve à l'article 377-1 al. 2. Plusieurs auteurs en déduisent que la délégation ne peut être réalisée qu'au profit d'une personne unique (v. par ex. J.-Cl. Code civil, fasc. 30, par C. Neirinck, nos 20 et 21). Mais, certaines juridictions accordent la délégation au bénéfice de deux personnes, généralement un couple (grands-parents, oncle et tante). Cette souplesse d'interprétation était recommandée par le rapport Dekeuwer-Defossez à l'origine de la loi n°Â 2002-305 du 4 mars 2002, qui a fait évoluer la délégation volontaire pour puisse profiter au beau-parent (avant 2002, la délégation supposait la remise préalable de l'enfant à un tiers). Le législateur lui-même a donc fait de la délégation un outil au service de nouvelles formes familiales, outil dont se saisissent aujourd'hui encore les magistrats (v. par ex. TJ Paris, 7 janv. 2022, JurisData nos 2022-001194 et 2022-001195 concernant une double délégation partage suite à un projet parental à deux couples).

C'est ainsi qu'en Polynésie française, la délégation volontaire a permis de donner un support juridique à une pratique coutumière chez les Ma'ohi, la Fa'a'amu, qui signifie nourrir/adopter/élever. «Â Cette coutume ancestrale de circulation d'enfants, qui se trouve dans toute l'Océanie, relève d'un mode de régulation sociale qui consiste à confier son enfant à des parents proches. Elle repose sur une entente entre les parents adoptifs et les parents biologiques, lesquels gardent en général des liens avec l'enfant » (avis de Mme Caron-Deglise, avocate générale, p. 22).

Cet usage de la délégation a également été mobilisé au profit de résidants de la métropole, ce qui, comme le relève la Cour de cassation, n'est «Â pas conforme à la coutume polynésienne de la Faa'mu, qui permet d'organiser une mesure de délégation de l'autorité parentale dès lors qu'elle intervient au sein d'un cercle familial élargi ou au bénéfice de personnes connues des délégants » (pt 20). La haute juridiction identifie ici un mésusage de la délégation.

Les mésusages confirmés de la délégation de l'exercice de l'autorité parentale

La Cour de cassation constate que «Â la délégation aux fins d'adoption a été admise [en Polynésie française] par une jurisprudence trentenaire de la cour d'appel de Papeete, jusqu'à présent jamais remise en cause ». Cet usage particulier de la délégation a ensuite été intégré par les autorités locales dans le code de procédure civile pour répondre à une carence réglementaire de l'État. En effet, les modalités d'adoption d'un enfant âgé de moins de deux ans sont incertaines en Polynésie française, les adaptations réglementaires de l'article L. 224-2 du CASF requises pour ce territoire en vertu de l'article L. 562-3 du CASF n'ayant jamais été adoptées. Mais, cette utilisation de la délégation afin de permettre l'adoption d'enfants polynésiens par des parents métropolitains sans lien avec les parents biologiques est une violation des exigences de l'article 377, alinéa 1er, du code civil et conduit la Cour de cassation à la condamner.

Mais ce n'est pas le seul mésusage de la délégation sur lequel la Cour de cassation est interrogée : la délégation visant à remettre, peu après sa naissance, un enfant à un couple demandeur peut-elle être considérée comme une forme de GPA ? Aux termes de l'article 16-7 du code civil, «Â toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle », le Conseil d'État ayant eu l'occasion de préciser que la procréation vise l'hypothèse où la mère porteuse est aussi la mère biologique alors que la gestation «Â fait intervenir une mère d'intention, à l'origine du projet, une mère biologique, qui donne ses gamètes, et une mère porteuse, qui permet la grossesse » (CE, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 2018, p. 76).

Cette notion d'une grossesse projetée par un tiers permet de comprendre le raisonnement tenu par la Cour en l'espèce : «Â il n'existe pas d'atteinte aux principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, dès lors, d'une part, que l'enfant n'a pas été conçu en vue de satisfaire la demande des candidats à la délégation, d'autre part, que la mesure de délégation, qui n'est qu'un mode d'organisation de l'exercice de l'autorité parentale, est ordonnée sous le contrôle du juge, est révocable et est, en elle-même, sans incidence sur la filiation de l'enfant » (pt 8). A contrario, l'accord réalisé en amont de la conception pourrait permettre de caractériser une situation de GPA et devrait conduire le juge à refuser la délégation… s'il en a connaissance.

 

Civ. 1re, 21 sept. 2022, FS-B+R, n° 21-50.042

Elsa Supiot

© Lefebvre Dalloz