La cryothérapie : aspects de droit pénal

Dès lors qu'elle a une visée thérapeutique, la cryothérapie est un acte médical qui ne peut être réalisé que par les personnes autorisées par la loi ou le règlement, au risque d'entraîner des poursuites pour exercice illégal de la médecine.

Ne pratique pas la cryothérapie qui veut !

Selon l'article 2, 4°, de l'arrêté du 6 janvier 1962, tout acte de physiothérapie aboutissant à la destruction si limitée, soit-elle des téguments, et notamment la cryothérapie, l'électrolyse, l'électrocoagulation et la diathermocoagulation constitue un acte médical qui ne peut être pratiqué que par les docteurs en médecine, conformément à l'article L. 372 (1°) du code de la santé publique. À titre exceptionnel, l'article R. 4321-7 du code de la santé publique ouvre à la profession de masseur kinésithérapeute les techniques de physiothérapie (incluant donc la cryothérapie), pour autant qu'elles n'entraînent pas de lésion des téguments. Malgré ces dispositions, la cryothérapie suscite des questionnements, notamment quant à sa nature d'acte médical.

Dans une question écrite (n° 09253 publiée dans le JO Sénat du 7 mars 2019, p. 1217), M. Yves Détraigne (Marne - UC) attirait l'attention de la ministre des Solidarités et de la Santé sur l'absence de législation encadrant la pratique de la cryothérapie et la cryolipolyse. Dans sa réponse publiée (dans le JO Sénat du 19 mars 2020, p. 1388), la ministre des Solidarités et de la Santé a exposé que le développement de la cryothérapie est utilisé à des fins thérapeutiques, esthétiques et de bien-être. Les cabines de cryothérapie corps entier sont des dispositifs médicaux et répondent aux exigences de la directive 93/42/CEE, et à partir du 26 mai 2020 à celles du règlement européen pour les dispositifs médicaux 2017/745. Dans son rapport de juillet 2019 commandé par la direction générale de la santé, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) précise que celle-ci pose de réels problèmes de sécurité qui nécessitent de la réserver aux professionnels de santé pour des indications médicales qui tiennent compte des risques que peut présenter son utilisation. D'ores et déjà, le code de la santé publique limite aux seuls médecins et masseurs-kinésithérapeutes, dans leur exercice et donc dûment inscrits à leurs ordres respectifs, l'utilisation de cette technique. Toute utilisation par d'autres personnes à des fins médicales est constitutive d'un exercice illégal de la médecine ou de la masso-kinésithérapie. Toutefois, le rapport est clair « à l'heure actuelle, si un fabricant destine une cabine de cryothérapie uniquement à des fins non médicales telles que le bien-être, la récupération ou l'entraînement du sportif ou l'esthétique, le produit n'est pas un dispositif médical ». Notons qu'une proposition de loi visant à évaluer et encadrer la pratique de la cryothérapie, n° 2523, a été déposée le 17 décembre 2019 et renvoyée à la Commission des affaires sociales. L'introduction de la proposition est éclairante sur les difficultés relatives à l'encadrement de la cryothérapie. En effet, il est proposé que « la pratique des actes, procédés, techniques et méthodes de cryothérapie n'ayant pas de finalité médicale soit soumise à un agrément délivré par le directeur général de l'agence régionale de santé, au vu de la formation et de la qualification du professionnel concerné ». Dans son édition du 20 juin 2020 des questions/réponses sur la « Qualification et positionnement réglementaire des dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro », l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé s'est prononcée expressément sur la question du statut d'une cabine de cryothérapie. Elle a expliqué que, « si un fabricant destine une cabine de cryothérapie uniquement à des fins non médicales telles que le bien-être, la récupération ou l'entraînement du sportif ou l'esthétique, le produit n'est pas un dispositif médical ». Il existe donc deux types de cryothérapie selon la finalité de l'acte, et le régime diffère en fonction ; des conséquences pénales peuvent découler. En effet, s'il appert que le procédé de cryothérapie avait une finalité thérapeutique, cela fait de lui un dispositif médical qui, s'il n'est pas réalisé par un médecin ou exceptionnellement par un professionnel habilité, des poursuites pour exercice illégal de la médecine peuvent être intentées. C'était l'objet de deux arrêts du 10 mai 2022 rendus par la chambre criminelle.

Dans la première espèce (pourvoi n° 21-84.951), à la suite d'un signalement du conseil départemental de l'ordre national des médecins et du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, du département de Meurthe-et-Moselle, les deux gérants d'un établissement pratiquant la cryothérapie ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel pour exercice illégal des professions de médecin et de masseur-kinésithérapeute, par la pratique de la cryothérapie « corps entier ». Le tribunal correctionnel les a déclarés coupables. Les prévenus et le ministère public ont alors interjeté appel. La cour d'appel, par une décision infirmative, a prononcé la relaxe et déclaré irrecevable la constitution de partie civile du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Pour ce faire, elle a estimé que, sauf exception, aucun texte n'interdit expressément la pratique de la cryothérapie « corps entier » à d'autres professions que celles de médecin ou de masseur-kinésithérapeute. Dans le même ordre d'idées, les juges ont souligné que l'utilisation du terme cryothérapie « corps entier », qui n'est pas un titre professionnel en France, n'est soumise à aucune condition et qu'aucun texte ne restreint actuellement l'exploitation des cabines de cryothérapie « corps entier » à une profession donnée. Les juges ont ajouté que la cryothérapie « corps entier » pratiquée par les prévenus n'entraînait pas d'altération ou destruction des tissus et qu'il n'a été démontré que les actes effectivement pratiqués avaient une visée thérapeutique et constituaient des actes médicaux réservés aux médecins ou aux masseurs-kinésithérapeutes. Paradoxalement, la cour d'appel a relevé que des documents publicitaires maladroits et manifestement inspirés par d'autres centres de cryothérapie laissaient penser à tort que le centre géré par les prévenus pouvait soulager des douleurs chroniques et des états post-traumatiques, aider à la rééducation de patients présentant une spasticité musculaire et apporter des bienfaits notamment pour certaines pathologies.

Dans la seconde espèce (pourvoi n° 21-83.522), à la suite d'une séance de cryothérapie dispensée par l'institut de beauté exploité par une société, un client a subi des engelures lui ayant occasionné une incapacité totale de travail d'un mois et demi. L'enquête a établi que la cryothérapie était pratiquée par la société en dehors de toute supervision médicale, par des esthéticiennes ayant seulement suivi une formation assurée par l'installateur du matériel. La société et son gérant ont été poursuivis respectivement des chefs de blessures involontaires et d'exercice illégal de la médecine. Le conseil départemental de l'ordre des médecins s'est constitué partie civile. En première instance, le tribunal correctionnel a déclaré les deux prévenus coupables. Le gérant et le ministère public ont relevé appel de la décision. La cour d'appel a déclaré le prévenu coupable d'exercice illégal de la médecine et l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis, et, sur l'action civile, l'a condamné à payer diverses sommes à la partie civile. Pour ce faire, elle a considéré que le procédé utilisé, ayant notamment entraîné chez la victime de graves brûlures, relève de l'article 2, 4°, de l'arrêté du 6 janvier 1962, qui réserve aux seuls docteurs en médecine les actes de physiothérapie, incluant la cryothérapie, aboutissant à la destruction, si limitée soit-elle, des tissus (téguments). Les juges ont estimé que la restriction apportée par ce texte à la liberté d'établissement et au principe de libre prestation de services garantis par les dispositions du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) est justifiée par la prévention des risques que le procédé en cause comporte au regard de la santé publique. Ils ont relevé par ailleurs que le prévenu a, dans la communication publicitaire de la société, allégué que la cryothérapie permettait de soulager certaines maladies et mis en avant des témoignages de clients déclarant avoir été guéris de leurs pathologies. Ils ont ajouté que, si le prévenu et son personnel décrivent la pratique dispensée comme dépourvue de toute finalité de soin et visant exclusivement le bien-être, l'une des esthéticiennes de la société a admis que la seule différence avec la cryothérapie thérapeutique était l'absence d'intervention d'un médecin. Ils en ont déduit que le prévenu s'est livré à l'exercice illégal de la médecine.

Ces deux affaires soulevaient le problème juridique suivant : dans quelle mesure la pratique de la cryothérapie par des personnes qui ne sont ni des médecins ni des kinésithérapeutes autorisés par la loi constitue-t-elle un exercice illégal de la médecine ?

Dans le premier arrêt, la chambre criminelle a cassé la décision de la cour d'appel. Toutefois, cette cassation ne porte que sur les dispositions ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile, tandis que les autres dispositions sur la relaxe pour exercice illégal de la médecine demeurent maintenues. Dans le second arrêt, elle a rejeté le pourvoi, estimant que la cour d'appel a considéré à juste titre que le procédé utilisé relevait des actes dont l'article 2, 4°, de l'arrêté du 6 janvier 1962 réserve la pratique aux docteurs en médecine et que ce texte ne méconnaît pas les articles 49 et 56 du TFUE tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne.

L'exercice illégal de la médecine, réprimé par l'article L. 46141-1 du code de la santé publique, suppose la réalisation d'un acte médical par une personne ne possédant pas ou plus qualité pour agir, à condition toutefois qu'il y ait habitude ou direction suivie (v. Rép. pén., Médecins, par J. Penneau, nos 89 s.).

La nature de la cryothérapie

La cryothérapie désigne l'utilisation du froid extrême sur tout ou partie du corps humain. Est-ce un acte médical ? Dans les deux arrêts soumis à commentaire, la Cour de cassation s'est montrée unanime : la cryothérapie à visée thérapeutique relève de l'article 2, 4°, de l'arrêté du 6 janvier 1962 ; c'est un acte médical.

Dans le premier arrêt, la haute cour a repris la solution de la cour d'appel, une solution qu'elle n'a pas frontalement remis en cause s'agissant de la relaxe pour exercice illégal de la médecine. Que soutenait la cour d'appel ? Celle-ci a relevé que la cryothérapie « corps entier » (sous l'appellation CCE) réalisée par les prévenus n'entraîne pas d'altération ou destruction des tissus et que nul n'a apporté la preuve que les actes effectivement pratiqués avaient une visée thérapeutique et constituaient des actes médicaux réservés aux médecins ou aux masseurs-kinésithérapeutes. Parce qu'ils n'ont pas correctement justifié leur décision, les juges d'appel ont vu leur décision cassée. Néanmoins, cette cassation ne portait que sur les dispositions ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile.

En revanche, dans le second arrêt, la chambre criminelle a rejeté les arguments du demandeur au motif que l'acte pratiqué avait bien une visée thérapeutique. On regrettera que la haute cour n'ait pas été plus explicite sur ce point, vivement discuté dans le moyen au pourvoi. En effet, ce dernier a reproché à la cour d'appel d'avoir exclu le but esthétique sans visée thérapeutique de la cryothérapie corps entier ou cryosauna en se fondant uniquement le fait que l'appareil avait vocation à délivrer, par injection d'azote sous forme de gaz, des températures extrêmes. La juridiction du second degré prenait également en compte les témoignages de clients ayant eu recours à la cryothérapie et déclarant avoir été guéris de pathologies. On soulignera que, à la différence de l'autre affaire, un client a été victime de brûlures résultant de la cryothérapie (rappr. Crim. 8 janv. 2008, n° 07-81.193 P, D. 2009. 1302, obs. J. Penneau ; AJ pénal 2008. 93 ; Dr. pénal 2008. Comm. 32 ; 13 sept. 2016, n° 15-85.046, D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RSC 2016. 760, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2017. 353, obs. P. Mistretta ; Dr. pénal 2016. Comm. 153, obs. Conte ; JCP 2016. 1067, note Rousseau ; Rev. pénit. 2016. 908, obs. Le Corroler ; v. aussi, à propos de cet arrêt, J.-Y. Maréchal, Réflexions sur la complicité des délits non intentionnels, Dr. pénal 2016. Étude 27). Peut-être pouvons-nous imaginer que la Cour s'est montrée plus sévère en raison de ces circonstances.

Le défaut de qualité de l'auteur de l'acte

Qui peut prodiguer des soins en ayant recours à la cryothérapie ? La chambre criminelle a pris soin de souligner qu'il résulte des articles R. 4321-5 et R. 4321-7 du code de la santé publique et 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 que la cryothérapie à des fins médicales est un acte de physiothérapie dont la pratique est réservée, d'une part, lorsqu'elle aboutit à la destruction, même limitée, des téguments, aux docteurs en médecine, d'autre part, à la condition qu'elle ne puisse aboutir à une lésion des téguments, aux personnes titulaires d'un diplôme de masseur-kinésithérapeute intervenant pour la mise en œuvre de traitements sur prescription médicale. Quid de nos deux espèces ? Il ne s'agissait en aucun cas de médecins ou de kinésithérapeutes.

Le risque de publicité mensongère

L'organisme qui propose de la cryothérapie doit se montrer vigilant quant à la cohérence entre ce qu'il propose et la réalité de sa pratique. En effet, il est certainement intéressant sur le plan « marketing » de vendre des soins à visée thérapeutique. Néanmoins, cela peut jouer sur la qualification d'exercice illégal de la médecine ainsi que cela vient d'être vu et, au-delà, les faits peuvent constituer l'infraction de publicité mensongère. L'hypothèse a été mise en exergue dans le pourvoi en cassation formé dans le premier arrêt. Malgré la relaxe prononcée, les juges d'appel ont relevé que des documents publicitaires maladroits et manifestement inspirés par d'autres centres de cryothérapie laissaient penser à tort que le centre pouvait soulager des douleurs chroniques et des états post-traumatiques par des effets antalgiques et anti-inflammatoires, aider à la rééducation de patients présentant une spasticité musculaire et apporter des bienfaits notamment pour certaines pathologies comme l'eczéma, le psoriasis, les œdèmes et les inflammations. Ils auraient également constaté que l'une des prévenus avait déclaré proposer des séances pour soulager des douleurs.

L'absence d'atteinte à la liberté d'établissement et au principe de libre prestation de services

Pour conclure, la chambre criminelle a eu l'occasion d'exprimer que les dispositions existantes sur la cryothérapie apportent à la liberté d'établissement et au principe de libre prestation de services une restriction nécessaire et proportionnée à la poursuite d'un intérêt impérieux de protection de la santé publique. La limitation est justifiée par les dangers particuliers liés à l'usage de ce procédé et ne méconnaît pas les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne.

 

Par Méryl Recotillet

Crim. 10 mai 2022, FS-B, n° 21-84.951 ; Crim. 10 mai 2022, FS-B, n° 21-83.522.

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