La concentration des demandes en cause d'appel et le partage

L'article 910-4 du code de procédure civile oblige les parties à concentrer leurs prétentions dans leur premier jeu de conclusions. Une partie ne saurait donc se borner à solliciter la réformation du jugement entrepris pour ultérieurement, dans un nouveau jeu de conclusions, présenter ses prétentions. Mais cette règle ne produit guère de conséquences en matière de partage. Car toute prétention doit être appréhendée comme une « défense » à celle formée par l'adversaire.

Une fois n'est pas coutume, c'est la première chambre civile qui a été amenée à se prononcer sur les conséquences des réformes récentes de la procédure d'appel. Mais la complexité des questions soulevées l'a conduite à solliciter les lumières des magistrats composant la deuxième chambre civile.

Chacun sait que, issu du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'article 910-4 du code de procédure civile (applicable en matière d'appel avec représentation obligatoire) impose aux parties, à peine d'irrecevabilité, de présenter dans leur premier jeu de conclusions adressées à la cour d'appel l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; toutefois, elles peuvent toujours, tant que l'ordonnance de clôture n'a pas été rendue, soulever des prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait (C. pr. civ., art. 910-4).

L'application de cette règle donne lieu à quelques originalités en matière de partage.

L'irrecevabilité des prétentions ne figurant pas dans le dispositif des premières conclusions

Dans l'arrêt commenté, à la suite de la dissolution d'un pacte civil de solidarité, un juge aux affaires familiales avait été saisi afin de régler les intérêts patrimoniaux des anciens partenaires. Le juge ne s'était pas dérobé à cette tâche et avait statué sur un certain nombre de prétentions ayant trait au partage de l'indivision qui existait entre les parties. Partiellement déçu de la décision du juge aux affaires familiales, l'un des anciens partenaires avait interjeté appel et, dès ses premières conclusions, avait demandé dans le dispositif de ses conclusions la confirmation du jugement à l'égard de certains chefs de dispositif, son infirmation pour le surplus et le rejet de l'ensemble des demandes formées par son adversaire. Dans un second jeu de conclusions, il avait saisi la cour d'un certain nombre de prétentions et, notamment, de demandes tendant à ce que diverses indemnités soient fixées à un certain montant différent de celui retenu par le premier juge. La cour d'appel a estimé que ces demandes, exprimées pour la première fois dans le second jeu de conclusions, étaient irrecevables en application de l'article 910-4 du code de procédure civile. Le pourvoi formé tentait de soutenir que l'appelante n'avait pu restreindre l'étendue de la saisine de la cour d'appel alors que ses premières conclusions demandaient l'infirmation de tous les chefs de dispositif à l'exception de certains, bien identifiés, dont il était demandé la confirmation. Il a été rejeté par la Cour de cassation.

Le rejet du pourvoi est logique, mais la Cour de cassation aurait pu en indiquer plus clairement les raisons. Elles sont pourtant simples. Assurément, une partie doit aujourd'hui demander la réformation ou l'annulation d'un jugement dans le dispositif de ses conclusions : lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement (Civ. 2e, 3 févr. 2022, n° 20-19.753 NP ; 3 mars 2022, n° 20-23.446 NP ; 4 nov. 2021, n° 20-16.208 NP ; 30 sept. 2021, n° 20-15.674 NP ; 1er juill. 2021, n° 20-10.694 P, Dalloz actualité, 23 juill. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1337 ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2021. 505, obs. J. Casey ; 20 mai 2021, n° 20-13.210 P, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1337 ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2021. 505, obs. J. Casey ; 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2021, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 , note M. Barba ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet ; D. avocats 2020. 448 et les obs. ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol ). La partie appelante avait satisfait à cette charge procédurale, même si elle ne s'imposait vraisemblablement pas à elle (car sa déclaration d'appel était antérieure à l'arrêt du 17 septembre 2020 fondant cette exigence nouvelle). Que le dispositif contienne l'indication qu'est sollicitée l'infirmation ou l'annulation du jugement ne fait cependant pas tout. Car la réformation d'un chef de dispositif ou l'annulation du jugement ne constitue pas une prétention au sens strict du terme. L'effet dévolutif, dont l'étendue est fixée par la seule déclaration d'appel et les conclusions d'appel de l'intimé, permet de remettre en cause l'autorité de la chose jugée attachée à certains chefs de dispositif du jugement rendu en première instance. Mais, après cette remise en cause, encore faut-il formaliser une prétention pour permettre à la cour d'appel d'écrire à nouveau l'histoire… En somme, il faut « soutenir cet appel, c'est-à-dire critiquer, durant l'instance d'appel, ces chefs de décision et proposer des prétentions contraires » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2019, n° 741). Naturellement, ces prétentions soutenant l'appel doivent figurer dans le dispositif des écritures (C. pr. civ., art. 954). À défaut de prétentions formulées dans le dispositif des conclusions, la cour d'appel ne peut que confirmer le chef de dispositif du jugement critiqué (Soc. 8 déc. 2021, n° 20-10.424 NP ; 4 févr. 2021, n° 19-23.615 P, Dalloz actualité, 16 févr. 2021, obs. R. Laffly ; D. 2021. 291 ; ibid. 543, obs. N. Fricero ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. D. Cholet, O. Cousin, E. Jullien et R. Laher ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol ; 10 déc. 2020, n° 19-16.137 NP ; 9 janv. 2020, n° 18-18.778 NP, D. 2021. 543, obs. N. Fricero ). C'est ce qui manquait assurément dans le dispositif des premières conclusions de l'appelante : si elle avait sollicité l'infirmation du jugement, elle n'avait formulé aucune prétention contraire aux chefs de dispositif du juge aux affaires familiales. Ces prétentions sont bien apparues dans un second jeu de conclusions, mais trop tardivement au regard de l'exigence formulée par l'article 910-4 du code de procédure civile.

La décision rendue par la cour d'appel était donc parfaitement justifiée et le pourvoi manquait son objet en soulignant que le dispositif des conclusions, en ce qu'il sollicitait l'infirmation du jugement rendu par le juge aux affaires familiales, n'avait pu restreindre la saisine découlant de la déclaration d'appel, qui énumérait expressément chaque chef du jugement critiqué. Ce n'était, à vrai dire, pas le problème…

Le jeu de la concentration des prétentions en matière de partage

Malgré tout, le couperet de l'article 910-4 du code de procédure civile a pu être écarté grâce à un moyen relevé d'office par la Cour de cassation.

La Cour de cassation a en effet rappelé que, en matière de partage, « les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses quant à l'établissement de l'actif et du passif, toute demande doit être considérée comme une défense à une prétention adverse ». Cette règle jurisprudentielle bien établie (Civ. 1re, 30 janv. 2019, n° 18-14.120 NP ; 12 juin 2018, n° 17-18.791 NP ; 15 juin 2017, n° 16-19.331 NP ; 4 mai 2017, n° 16-17.835 NP ; 25 sept. 2013, n° 12-21.280 P, Dalloz actualité, 11 oct. 2013, obs. J. Marrocchella ; D. 2014. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2013. 722, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2013. 882, obs. B. Vareille ; ibid. 884, obs. B. Vareille ; 29 nov. 1989, n° 88-13.926 P), dont il est permis de relever des illustrations anciennes (v. déjà Req. 19 nov. 1861, DP 1962.1. 139 ; Civ. 17 mars 1835, Ozenne c. Ozenne, S. 1835. 1. 163), semble surtout à l'origine destinée à empêcher un morcellement procédural de la liquidation et du partage. Cela évite en effet que des demandes ayant trait à un partage soient déclarées irrecevables comme nouvelles en cause d'appel (Civ. 2e, 3 févr. 1983, n° 80-16.702 P) ; le risque est en effet que cette demande déclarée irrecevable en cause d'appel soit à nouveau soumise à un juge en première instance et que la discussion autour du partage se prolonge dans un nouveau procès. Il faut toutefois relever que l'avènement du principe de concentration des moyens a rendu les bases de cette construction jurisprudentielle, qui n'aboutit à rien d'autre qu'à (con)fondre les moyens et demandes (la lecture de quelques arrêts est assez éloquente, v. Civ. 17 mars 1835, préc.), plus fragiles. Car si on voit dans ces « demandes » des « moyens », rien ne justifie qu'ils ne soient pas soulevés dès l'instance relative à la première demande (comp., à propos de la caution, Civ. 2e, 1er juill. 2021, n° 20-11.706 P, Dalloz actualité, 22 juill. 2021, obs. N. Hoffschir ; Com. 22 mars 2016, n° 14-23.167 NP ; 25 oct. 2011, n° 10-21.383 P, D. 2011. 2735, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2012. 851, obs. A. Martin-Serf ) On pourrait autrement, et sans avoir recours à cet artifice, parfois critiqué (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, op. cit., n° 138), justifier de la recevabilité des demandes nouvelles relatives à un partage en cause d'appel.

Mais, au cas d'espèce, la Cour de cassation fait une application originale de cette règle séculaire. En application de l'article 910-4 du code de procédure civile, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses peuvent toujours être présentées après le dépôt du premier jeu de conclusions. Parce que, en matière de partage, les prétentions des parties doivent être considérées comme des défenses aux prétentions adverses, elles peuvent en conséquence être reçues, même si elles ne sont pas contenues dans le premier jeu d'écritures dès lors qu'elles font obstacle aux prétentions de l'adversaire. Et les demandes de l'ancien partenaire relatives au partage de l'indivision ont ainsi été sauvées de l'irrecevabilité, même si elles n'étaient pas contenues dans le premier jeu de conclusions.

Autant dire que la règle contenue dans l'article 910-4 du code de procédure civile n'emporte guère de conséquences en matière de partage…

 

Par Nicolas Hoffschir

Civ. 1re, 9 juin 2022, F-B, n° 19-24.368

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