Information de la personne mise en cause du droit de se taire lors d'un examen réalisé par une personne requise par le procureur de la République : inconstitutionnalité

Le Conseil constitutionnel censure les dispositions de l'article 77-1 du code de procédure pénale et déclare celles de l'article 706-112-2 conformes à la Constitution

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 10 décembre 2021 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, d'une part, de l'article 77-1 du code de procédure pénale et, d'autre part, de l'article 706-112-2 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Pour rappel, l'article 77-1 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :

« S'il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, le procureur de la République ou, sur autorisation de celui-ci, l'officier ou l'agent de police judiciaire, a recours à toutes personnes qualifiées.

Les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 60 sont applicables. »

Tandis que l'article 706-112-2 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 23 mars 2019, prévoit :

« Lorsque les éléments recueillis au cours d'une procédure concernant un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement font apparaître qu'une personne devant être entendue librement en application de l'article 61-1 fait l'objet d'une mesure de protection juridique, l'officier ou l'agent de police judiciaire en avise par tout moyen le curateur ou le tuteur, qui peut désigner un avocat ou demander qu'un avocat soit désigné par le bâtonnier pour assister la personne lors de son audition. Si le tuteur ou le curateur n'a pu être avisé et si la personne entendue n'a pas été assistée par un avocat, les déclarations de cette personne ne peuvent servir de seul fondement à sa condamnation. »

Question posée

Dans sa QPC, le requérant reprochait aux dispositions de l'article 77-1 du code de procédure pénale de ne pas prévoir que la personne mise en cause soit informée de son droit de garder le silence lorsqu'elle est entendue sur les faits qui lui sont reprochés par une personne qualifiée requise par le procureur de la République. Il en résulterait une méconnaissance du droit de se taire.

Il faisait par ailleurs valoir que les dispositions de l'article 706-112-2 du même code ne prévoiraient pas que le tuteur ou le curateur, lorsqu'il est avisé de l'audition libre du majeur protégé, soit informé de la possibilité qu'il a de désigner ou de faire désigner un avocat pour l'assister. Elles seraient ainsi contraires aux droits de la défense et, pour les mêmes motifs, entachées d'incompétence négative.

Décision du Conseil constitutionnel

Sur les dispositions contestées de l'article 77-1 du code de procédure pénale

Après avoir visé le droit de ne pas s'auto-incriminer et le droit de se taire, le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions contestées permettent au procureur de la République d'avoir recours, dans le cadre d'une enquête préliminaire, à toutes personnes qualifiées pour procéder à des constatations ou examens techniques ou scientifiques.

En application de ces dispositions, il peut, en particulier, requérir une telle personne pour procéder à l'examen psychologique ou psychiatrique de la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction afin, notamment, de s'assurer des conditions préalables à l'exercice des poursuites.

Au cours de cet examen, la personne requise a la faculté d'interroger la personne mise en cause sur les faits qui lui sont reprochés. Cette dernière peut ainsi être amenée, en réponse aux questions qui lui sont posées, à reconnaître sa culpabilité.

Or le Conseil rappelle que le rapport établi à l'issue de cet examen, dans lequel sont consignées les déclarations de la personne mise en cause, est susceptible d'être porté à la connaissance de la juridiction de jugement.

Dès lors, les Sages concluent qu'en ne prévoyant pas que la personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit être informée de son droit de se taire lors d'un examen au cours duquel elle peut être interrogée sur les faits qui lui sont reprochés, les dispositions contestées de l'article 77-1 du code de procédure pénale méconnaissent les exigences de l'article 9 de la Déclaration de 1789 et doivent, par conséquent, être déclarées contraires à la Constitution.

Quant aux effets de la déclaration d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions de l'article 77-1 du code de procédure pénale déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur. Par ailleurs, comme la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives, il a estimé que ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Observations

Le Conseil constitutionnel déduit de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser dont découle le droit de se taire.

À travers une série de décisions récentes, le Conseil constitutionnel a censuré les articles 199 (débats devant la chambre de l'instruction, v. Cons. const. 9 avr. 2021, n° 2021-895/901/902/903 QPC, Dalloz actualité, 27 avr. 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 699 ; AJ pénal 2021. 269 ; RSC 2021. 483, obs. A. Botton ), 396 (comparution préalable du prévenu majeur devant le JLD, v. Cons. const. 4 mars 2021, n° 2020-886 QPC, Dalloz actualité, 12 mars 2021, obs. V. Morgante ; D. 2021. 473, et les obs. ), 145 (placement en détention provisoire par le JLD, v. Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-935 QPC, Dalloz actualité, 7 oct. 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 1767 ) et 148-2 du code de procédure pénale (débat relatif au placement sous contrôle judiciaire ou de mainlevée de celui-ci, v. Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-935 QPC, AJ pénal 2021. 540 ; 18 juin 2021, n° 2021-920 QPC, D. 2021. 1192 ; ibid. 1564, obs. J.-B. Perrier ), en ce que ces dispositions ne prévoyaient pas la notification du droit de se taire à la personne mise en cause.

À chaque fois, le Conseil constitutionnel, pour censurer ces dispositions, a relevé qu'à l'occasion de ces débats ou entretiens, la personne – à qui le droit de garder le silence n'était pas notifié – pouvait être amenée à faire des déclarations relatives à sa participation aux faits, déclarations susceptibles d'être portées à la connaissance de la juridiction de jugement.

L'article 77-1, qui sert de fondement à la réalisation d'expertises médicales, psychologiques ou psychiatriques sur réquisitions du ministère public dans le cadre d'une enquête, doit être rapproché de l'article 164, alinéa 3, du même code, en vertu duquel : « Les médecins ou psychologues experts chargés d'examiner la personne mise en examen, le témoin assisté ou la partie civile peuvent dans tous les cas leur poser des questions pour l'accomplissement de leur mission hors la présence du juge et des avocats ».

Il ressort de cette dernière disposition que la personne mise en cause entendue dans le cadre d'une expertise psychiatrique peut être amenée à apporter des réponses à des questions relatives aux faits qui lui sont reprochés, et à l'occasion desquelles elle pourra éventuellement s'auto-incriminer.

Or, ces déclarations étant susceptibles d'être portées à la connaissance de la juridiction de jugement, il apparaît, au regard des décisions précitées que le fait que le législateur n'ait pas prévu que soit notifié à la personne faisant l'objet d'un examen psychologique ou psychiatrique, son droit de garder le silence, contrevient aux droits de la défense, comme au droit de ne pas s'auto-incriminer.

Sur les dispositions contestées de l'article 706-112-2 du code de procédure pénale

Selon le Conseil constitutionnel, en adoptant les dispositions prévues dans cet article, le législateur a entendu que le majeur protégé soit, au cours de son audition libre, assisté dans l'exercice de ses droits et, en particulier, dans l'exercice de son droit à l'assistance d'un avocat.

Ainsi, selon les Sages, les dispositions contestées impliquent nécessairement que, lorsqu'il est avisé de l'audition libre du majeur protégé, le tuteur ou le curateur est informé par les enquêteurs de la possibilité qu'il a de désigner ou faire désigner un avocat pour assister ce dernier.

Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense ne peut qu'être écarté et les dispositions contestées de l'article 706-112-2 du code de procédure pénale, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

Observations

Rappelons que, par un arrêt du 30 janvier 2001, Vaudelle c. France (req. n° 356883/97), la Cour européenne des droits de l'homme qui considère que « des garanties spéciales de procédure peuvent s'imposer pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d'agir pour leur propre compte », a condamné la France pour avoir jugé un majeur sous curatelle, en l'absence du requérant à l'audience et de son représentant. La Cour a jugé que l'information du curateur « aurait permis au requérant de comprendre la procédure en cours et d'être informé de manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui au sens de l'article 6, § 3, a, de la Convention, et au tribunal de prendre sa décision en toute équité ».

Tirant les conséquences de cette condamnation, le législateur, par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, a consacré dans le code de procédure pénale un titre entier à la question des procédures particulières applicables aux majeurs protégés et a imposé à l'article 706-113 du code de procédure pénale l'obligation d'aviser, à différents stades de la procédure, le tuteur ou le curateur de la personne mise en cause faisant l'objet d'une mesure de protection.

C'est dans ce contexte que les articles 706-112-1 et 706-112-2 du code de procédure pénale, relatifs respectivement à la garde à vue et à l'audition libre du majeur protégé, ont été créés par la loi du 23 mars 2019, alors que le législateur entendait cette fois, se conformer aux exigences constitutionnelles, résultant notamment de la décision n° 2018-730 QPC du 14 septembre 2018 qui avait déclaré inconstitutionnel le premier alinéa de l'article 706-113 du code de procédure pénale dans sa version alors applicable.

D'une manière générale, il ressort de sa jurisprudence que le Conseil constitutionnel a jugé nécessaire, pour la protection de certaines personnes vulnérables, que des garanties spécifiques soient prévues dans le cadre de certaines procédures pénales. À titre d'exemple, citons une décision du 15 janvier 2021 par laquelle le Conseil constitutionnel a censuré le premier alinéa de l'article 706-113 en ce qu'il ne prévoyait pas que le représentant du majeur protégé soit informé d'une mesure de perquisition menée au domicile de ce dernier.

Il ressort ainsi très clairement des décisions du Conseil l'importance que revêt pour lui l'effectivité des droits de la personne vulnérable : il appartient au législateur de s'assurer qu'elle soit en mesure, grâce à l'assistance qu'elle pourra recevoir, d'exercer avec discernement les droits procéduraux qui lui sont par ailleurs reconnus comme à tout un chacun.

Les garanties qui sont spécifiquement accordées aux personnes protégées par le législateur se justifient par leur particulière vulnérabilité qui ne permet pas de s'assurer qu'ils sont en mesure de faire pleinement valoir leurs droits.

Au regard de ces différentes considérations, la décision du Conseil selon laquelle « les dispositions contestées impliquent nécessairement que, lorsqu'il est avisé de l'audition libre du majeur protégé, le tuteur ou le curateur est informé par les enquêteurs de la possibilité qu'il a de désigner ou faire désigner un avocat », peut être discutée. La rédaction de l'article 706-112-2 du code de procédure pénale n'est pas aussi claire que semble le sous-entendre le Conseil.

Pourtant, il est nécessaire que l'avis fait au tuteur ou curateur ne soit pas une simple formalité dénuée d'effet et, pour cela, encore faut-il qu'il permette d'assurer la protection effective des droits du majeur protégé. Or, le tuteur ou curateur n'étant pas un professionnel du droit, il n'est pas établi qu'il aura – s'il n'en est pas expressément informé – connaissance de la possibilité qu'il a de désigner ou faire désigner un avocat pour assister le majeur protégé…

 

Par Sofian Goudjil

Cons. const. 25 févr. 2022, n° 2021-975 QPC