Impossibilité de reclassement et dispense de consultation des représentants du personnel
Selon l'article L. 1226-12 du code du travail, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi. Lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel.
Afin de permettre le licenciement d'un salarié dont la santé serait compromise par un maintien à l'effectif, et ce même si l'employeur est en mesure de lui proposer un autre emploi, la loi du Rebsamen ajoutait un nouveau motif de licenciement du salarié inapte dans l'hypothèse où l'avis du médecin du travail indique explicitement que le licenciement est nécessaire à la préservation de la santé du salarié.
Par ailleurs, il est aujourd'hui bien acquis qu'un licenciement pour inaptitude prononcé en méconnaissance de la consultation préalable des représentants du personnel est sanctionnée par l'indemnité prévue L. 1226-15 (Soc. 13 déc. 1995, n° 92-44.490, RJS 3/1996, n° 268 ; 17 déc. 1997, n° 95-44.026 P, RJS 2/1998, n° 164) de même qu'une consultation qui n'aurait pas été assortie de la fourniture de toutes les informations nécessaires quant au reclassement du salarié (Soc. 13 juill. 2004, n° 02-41.046 P, Dr. soc. 2004. 1037, obs. B. Gauriau ; RJS 11/2004, n° 1138). L'irrégularité de consultation peut en outre être constitutive du délit d'entrave (Crim. 26 janv. 1993, n° 89-85.389 P, RJS 4/1993. 249, n° 413).
Comment alors ces deux règles doivent-elles alors s'articuler. L'obligation de consultation s'impose-t-elle à l'employeur lorsque le reclassement est aux termes de l'avis du médecin du travail à exclure car préjudiciable à la santé du salarié ? Telle était la question rebattue dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 8 juin 2022 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation.
Une salariée engagée en qualité d'opératrice a été, à la suite d'un accident du travail, déclarée inapte à son poste par le médecin du travail, dont l'avis mentionnait « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
L'intéressée a par la suite été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
La rupture a alors été contestée devant les juridictions du fond, qui condamnèrent l'employeur à verser à la salariée une somme pour irrégularité tenant au défaut de consultation des délégués du personnel. Celui-ci s'était en effet abstenu de consulter les représentants du personnel, là où la cour d'appel estimait cette consultation s'avérait nécessaire même en l'absence de possibilité de reclassement.
L'employeur a alors formé un pourvoi en cassation afin de contester ce raisonnement.
Absence de consultation des représentants du personnel en cas de dispense de reclassement
La chambre sociale de la Cour de cassation donne alors raison à l'employeur en cassant l'arrêt d'appel au visa des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail.
Rappelons en effet qu'aux termes de ces articles, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, et que cette proposition doit prendre en compte, après avis des représentants du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.
L'employeur ne peut dans ce contexte rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.
La chambre sociale rappelle que, dans ce cadre, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel.
Or tel était le cas en l'espèce, avec une mention d'un « état de santé du salarié [faisant] obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
L'on note que la solution, rendue à propos d'une espèce antérieure à la création du comité social et économique, devrait s'analyser comme étant transposable à l'actuelle version des textes lui donnant désormais la charge de rendre les avis quant aux propositions de reclassement.
La décision de la chambre sociale apparaît ici déterminante en ce qu'elle opère un revirement de jurisprudence. Il était en effet dans le passé jugé que les délégués du personnel doivent être consultés même en présence d'une impossibilité de reclassement (Soc. 21 févr. 1990, n° 88-42.125 P ; 19 juin 1990, n° 87-41.499 P, D. 1990. IR 185 ; 30 oct. 1991, n° 87-43.801).
La solution vient ainsi restreindre le formalisme entourant la procédure d'inaptitude en neutralisant l'automaticité de la consultation des représentants du personnel. Force est en effet d'admettre que cette consultation pouvait, dans les cas où le médecin du travail estime que la santé du salarié fait obstacle à toute forme de reclassement, apparaître sinon superfétatoire, à tout le moins purement formelle, l'argument médical pouvant difficilement fléchir face à l'avis du représentant. L'on pourra aussi penser que la lettre du texte invitait à une interprétation dans ce sens, l'avis du CSE étant évoqué à propos de la « proposition » d'un autre emploi approprié aux capacités du salarié. En l'absence d'une telle proposition rendue possible par l'avis du médecin, l'avis du CSE pourrait être perçu comme étant sans objet véritable.
La mention du médecin apparaît alors déterminante dans l'envergure des obligations pesant sur l'employeur qui pourra, le cas échéant, s'abstenir de toute recherche de reclassement et de tout avis sur ce reclassement si la bonne formule figure dans l'avis médical préalable. Le poids juridique ainsi conféré à l'avis du médecin du travail pourra peut-être prêter le flanc à la critique, puisqu'il part du postulat que le médecin du travail dispose d'une parfaite connaissance des emplois disponibles dans le périmètre de reclassement de l'employeur. Les représentants du personnel, dont on peut légitimement penser qu'ils peuvent disposer d'une connaissance au moins aussi avisée de la nature des postes du périmètre de reclassement (qui peut le cas échéant inclure d'autres entreprises du groupe), pourront ainsi pourtant se voir totalement éludé de la procédure sur la seule base de l'avis du médecin.
Il faudra toutefois tempérer cette dernière assertion en ce qu'il reste toujours loisible à l'employeur, même s'il dispose d'un avis médical mentionnant que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, de tout de même consulter spontanément le CSE sur la question afin de s'assurer de prendre une décision éclairée par toutes les parties prenantes. Il sera toutefois malvenu de conseiller à l'employeur de prendre le risque d'opérer dans ce cas un reclassement conforme à l'avis du CSE mais contraire à celui du médecin du travail. Rappelons en effet qu'il reste tenu d'une obligation de sécurité à l'égard des salariés (C. trav., art. L. 4121-1), dont l'appréciation pourrait être d'une particulière sévérité s'il appert qu'un salarié se voit reclassé sur un poste qui pourrait conduire à une dégradation de sa santé.
Absence d'indemnisation des congés afférents à la période de préavis
Enfin, la chambre sociale censure également les juges du fond quant à l'octroi d'une indemnité au titre des congés payés afférents à la période de préavis. Elle rappelle en effet, conformément à une jurisprudence constante (v. Soc. 4 déc. 2001, n° 99-44.677 P, D. 2002. 136 ; RJS 2/2002, n° 16) et au visa de l'article L. 1226-14 du code du travail que l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis n'a pas la nature d'une indemnité de préavis. Partant de ce constat, l'éminente juridiction juge assez naturellement qu'elle n'ouvre pas droit à congés payés, de sorte que le salarié ne peut prétendre à une indemnité relative aux congés payés afférents à cette période théorique.
Par Loïc Malfettes
Soc. 8 juin 2022, FS-B, n° 20-22.500
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