Exception inhérente à la dette et prescription en droit de la consommation
Dans un important revirement de jurisprudence, la première chambre civile vient qualifier la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation comme une exception inhérente à la dette au sens de l'ancien article 2313 ancien du code civil.
Voici un arrêt assurément important pour le droit du cautionnement tant le revirement de jurisprudence qu'il provoque est intéressant. On se rappelle que la première chambre civile de la Cour de cassation avait jugé en 2019 que « constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue par l'article L. 218-2 du code de la consommation » (Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-16.147, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 523 , note M. Nicolle ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 101, obs. D. Houtcieff ; Rev. prat. rec. 2020. 14, obs. M. Aressy, M.-P. Mourre-Schreiber et Ulrik Schreiber ; ibid. 15, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2020. 161, obs. C. Gijsbers ). Avant l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, l'article 2313 ancien du code civil ne permettait à la caution que d'invoquer les exceptions qui étaient inhérentes à la dette mais non celles purement personnelles au débiteur. La prescription tirée de l'article L. 218-2 du code de la consommation était, par conséquent, impossible à utiliser par la caution eu égard à ce texte, à la suite de la jurisprudence de 2019. La solution avait fait, à l'époque, couler beaucoup d'encre (v. par ex. les obs. de J.-D. Pellier, La prescription biennale du code de la consommation est une exception purement personnelle au débiteur principal, Dalloz actualité, art. préc.). L'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, à la suite du projet proposé par l'Association Henri Capitant, est venue à travers le nouvel article 2298 du code civil condamner pour l'avenir cette décision de manière subtile (v. L. Bougerol, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Épisode 2) : formation et étendue du cautionnement, Dalloz actualité, 19 sept. 2021). Désormais, peu importe la qualification de l'exception, l'article 2298 nouveau permet à la caution d'invoquer les exceptions inhérentes à la dette comme les exceptions personnelles. Mais rien ne permettait de garantir que la première chambre civile viendrait abandonner sa solution pour les cautionnements conclus avant le 1er janvier 2022, soit avant l'entrée en vigueur de la réforme du 15 septembre 2021. S'inspirant de ce qu'elle a pu réaliser par le passé en matière de rétractation du promettant dans le cadre d'une promesse unilatérale de vente (Civ. 3e, 23 juin 2021, n° 20-17.554, D. 2021. 1574 , note Léa Molina ; ibid. 2251, chron. A.-L. Collomp, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJDI 2022. 226 , obs. F. Cohet ; Rev. sociétés 2022. 141, étude G. Pillet ; RTD civ. 2021. 630, obs. H. Barbier ; ibid. 934, obs. P. Théry ; 20 oct. 2021, n° 20-18.514, Dalloz actualité, 17 nov. 2021, obs. G. Tamwa Talla ; D. 2021. 1919 ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ), la Cour de cassation livre le 20 avril 2022 un arrêt permettant d'aligner sa jurisprudence sur le droit nouveau afin d'éviter les différentes de traitement entre les cautions consécutives à l'application de la loi dans le temps : certaines subissant la jurisprudence ancienne, d'autres bénéficiant de l'ordonnance nouvelle.
À l'origine de l'arrêt se trouve une situation factuelle peu originale. Par acte sous seing privé en date du 22 novembre 2007, une société consent un prêt immobilier garanti par un cautionnement. La banque assigne les emprunteurs et la caution en paiement des sommes restant dues au titre du prêt. La cour d'appel de Lyon sursoit à statuer pour solliciter les observations des parties sur la prescription de la créance de la banque. Une fois lesdites observations recueillies, la cour d'appel a pu juger que la caution pouvait profiter de la prescription biennale tirée de l'article L. 218-2 du code de la consommation. Conscient que cette décision allait dans un sens contraire à celui de la jurisprudence de la haute juridiction, l'établissement bancaire se pourvoit en cassation en arguant du caractère d'exception purement personnelle au débiteur principal de cette prescription biennale. Le moyen est rejeté après une motivation enrichie, signe des importants revirements de jurisprudence. On citera la conclusion de la motivation : « Il y a donc lieu de modifier la jurisprudence et de décider désormais que, si la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu'il s'agit d'une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir, conformément aux dispositions précitées du code civil ».
La solution permet de formuler quelques observations du côté de la nature de l'exception ainsi qualifiée mais également autour de l'application de la loi dans le temps.
De la nature de l'exception tirée de la prescription
La principale difficulté qui résultait de la jurisprudence de 2019 est rappelée par la première chambre civile elle-même dans le paragraphe n° 8 de son arrêt du 20 avril 2022. Puisque la caution ne pouvait invoquer la prescription extinctive tirée de l'article L. 218-2 du code de la consommation pour éviter de payer, celle-ci n'avait d'autre choix que de régler le créancier. Il n'y a là que l'application logique du rapport d'obligation entre la caution et le débiteur principal, la première s'engageant à payer le créancier en cas de défaillance du second. La caution n'est pourtant qu'un tiers solvens dans le rapport originel entre le créancier et le débiteur principal. Elle dispose donc d'un recours subrogatoire qui, aujourd'hui comme hier, avant la réforme issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, permet de la désintéresser complètement de ce qu'elle a payé. Par conséquent, celle-ci ne supporte rien au stade définitif. Mais dans notre situation, ceci revient à faire que la prescription biennale n'a aucun effet : le débiteur principal peut l'invoquer dans son rapport avec le créancier mais certainement pas contre la caution dont les caractéristiques de l'obligation sont différentes sur ce point. C'est pour cette raison purement pragmatique que la nature de l'exception purement personnelle tirée de la prescription biennale posait difficulté.
Mais la solution avait également ses justifications, notamment sur la qualité de consommateur qui est tout à fait personnelle au débiteur principal. En tout état de cause, il ne s'agit pas réellement d'une exception « inhérente à la dette » mais d'une simple caractéristique dont profite exclusivement le débiteur principal en droit de la consommation. Afin de justifier sa décision du 20 avril 2022, la première chambre civile vient rappeler que l'acquisition de la prescription affecte le droit du créancier. Il faut lire dans cette motivation la volonté de rattacher la prescription, même issue du droit de la consommation, à la catégorie des exceptions inhérentes en prenant le soin de ne pas abandonner la justification au seul intérêt pratique. Si certains auteurs y verront probablement une construction critiquable, c'est probablement comme ceci qu'il aurait fallu se positionner dès le départ pour éviter les écueils précités.
Tout ceci est donc bien paradoxal dans l'arrêt du 20 avril 2022 : en réalité, ce n'est pas la caution que cherche à protéger la première chambre civile. Il s'agit du débiteur principal puisque celui-ci ne pourra pas profiter de l'écoulement du temps et de la prescription biennale qui en est la conséquence en droit de la consommation si la qualification d'exception demeure purement personnelle.
Ce constat se vérifie au sujet de l'application de la loi dans le temps.
De l'application de la réforme dans le temps
Le second point justifiant le revirement de jurisprudence réside dans la situation qui « conduirait à traiter plus sévèrement les cautions ayant souscrit leur engagement avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée, laquelle permet en principe à la caution d'opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur » (nous soulignons). L'objectif est louable, d'un point de vue théorique. Il tend à prendre comme acquise l'idée selon laquelle la jurisprudence ne peut pas maintenir une solution qui est désavouée par la loi nouvelle. Pourtant, cette idée n'a absolument rien d'évident pour deux raisons.
La première, d'une part, réside dans le nouveau texte lui-même : l'ordonnance ne vient pas repositionner le curseur entre les exceptions inhérentes à la dette et les exceptions purement personnelles. Elle ne fait que permettre à la caution de les invoquer beaucoup plus librement pour les cautionnements conclus après le 1er janvier 2022. Or, dans l'arrêt du 20 avril 2022, la Cour de cassation procède à une requalification d'exception purement personnelle en exception inhérente à la dette pour parvenir à l'objectif souhaité, c'est-à-dire la possibilité pour la caution de s'en prévaloir au stade du paiement du créancier.
La seconde raison, d'autre part, implique de réduire les principes du droit transitoire peu à peu. La jurisprudence devrait pouvoir maintenir des solutions qui se justifiaient sous l'empire des textes anciens sans nécessairement être tenue de les remettre systématiquement en question. La généralisation de ces applications anticipées de la réforme pourrait conduire à sacrifier complètement le droit ancien, lequel n'est pas du « droit mort » mais du droit bien vivant qui continue d'exister avec ses propres spécificités jusqu'à épuisement des contrats conclus avant le 1er janvier 2022. Il faudra donc examiner comment la Cour de cassation fera survivre ou non ses positionnements en désaccord avec les nouveaux textes pour pouvoir mieux anticiper les revirements de jurisprudence.
La prévisibilité des solutions peut être délicate en ces temps pour le droit des sûretés. Ces quelques développements pourront rappeler une décision rendue au printemps 2021 sur les changements de norme et, plus largement, sur le rôle de la Cour de cassation en tant que gardienne de l'interprétation de la loi (Cass., ass. plén., 2 avr. 2021, n° 19-18.814, Dalloz actualité, 9 avr. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1164, et les obs. , note B. Haftel ; ibid. 1980, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; AJ fam. 2021. 312, obs. J. Houssier ; RTD civ. 2021. 607, obs. P. Deumier ).
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En tout état de cause, cette décision prise isolément était probablement la bonne eu égard aux critiques formulées face à la décision de 2019. La première chambre civile rend une solution équilibrée, certes sujette à la discussion mais qui permet de revenir sur une décision délicate à justifier. Désormais, les cautions peuvent invoquer la prescription biennale du droit de la consommation qui profite au débiteur principal consommateur. Nouvelle victoire d'un caractère accessoire du cautionnement disparate mais toujours existant, la solution du 20 avril 2022 s'inscrit dans un but d'harmonisation. Il ne reste plus qu'à patienter pour savoir si la Cour de cassation fera survivre d'autres solutions en rupture avec l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. Affaire à suivre !
Par Cédric Hélaine
Civ. 1re, 20 avr. 2022, FS-B, n° 20-22.866
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