Du recours de la caution et de l'absence de capitalisation des intérêts

Dans son arrêt du 20 avril 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler que l'interdiction de la capitalisation des intérêts issue des règles du droit de la consommation concerne également les recours de la caution contre l'emprunteur.

La question de la capitalisation des intérêts, encore appelée anatocisme, implique des croisements intéressants entre le droit commun d'une part et le droit spécial d'autre part. En droit commun, c'est l'article 1343-2 du code civil qui prévoit la possibilité de capitaliser de tels intérêts dès que les conditions sont réunies. Avant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, c'était l'ancien article 1154 du code civil qui prévoyait l'anatocisme (sur cette question, v. F. Gréau, Rép. civ., Intérêts des sommes d'argent, n° 117). En matière de droit de la consommation, différentes règles coexistent à ce sujet en matière de crédit à la consommation et de crédit immobilier. Pour ce dernier, l'article L. 313-52 du code de la consommation vient empêcher de mettre à la charge de l'emprunteur d'autres frais prévus que ceux mentionnés à l'article L. 313-51 du même code (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 267, n° 206). Les règles du droit commun et du droit spécial s'entrechoquent donc régulièrement, faisant naître des hésitations sur la possibilité de capitaliser des intérêts en matière de prêts régis par le code de la consommation. C'est dans ce maelström de règles que s'aventure l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 avril 2021.

À l'origine de l'affaire, on retrouve un établissement bancaire qui consent à un particulier un prêt immobilier garanti par une caution professionnelle. Le prêt a été conclu le 14 août 2000, il est donc régi par les dispositions antérieures à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et par l'article L. 312-23 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 qui énonçait déjà en substance la règle de l'actuel article L. 313-52 du même code. Le 8 juin 2007, l'établissement bancaire consent trois prêts garantis par la même caution professionnelle, par le premier emprunteur et par une seconde personne physique. Les échéances impayées s'accumulent si bien que la banque prononce la déchéance du terme des prêts. Elle se désintéresse sur la caution professionnelle qui assigne fort logiquement les emprunteurs et leurs cautions en paiement afin de se désintéresser de ce qu'elle a payé en tant que tiers solvens. La cour d'appel de Paris ordonne la capitalisation des intérêts dans les rapports entre la caution et l'emprunteur à compter du 22 avril 2016 au titre du prêt immobilier contracté.

L'emprunteur se pourvoit en cassation en arguant de la règle issue de l'article L. 311-29 du code de la consommation. Il s'agit probablement d'une maladresse dans la rédaction du pourvoi : les faits narrent un crédit immobilier, c'est donc l'ancien article L. 312-23 qui doit être applicable. La première chambre civile casse et annule l'arrêt d'appel en précisant que la règle de droit spécial fait obstacle à l'application du texte de droit commun, ici l'article 1154 ancien du code civil, sur la capitalisation des intérêts. Elle rappelle également l'intensité de cette interdiction qui rebondit aussi bien sur l'action du prêteur contre l'emprunteur que dans les recours contributifs de la caution envers le débiteur principal. On notera que la première chambre civile en profite pour statuer au fond. Elle rejette donc la demande de capitalisation des intérêts formulée par l'établissement bancaire.

Nous allons examiner les deux ressorts argumentatifs de la décision : l'articulation du droit commun et du droit spécial, d'une part, mais également le rebond de la règle du droit de la consommation sur le recours de la caution, d'autre part.

De l'articulation entre le droit commun et le droit spécial

Le paragraphe n° 6 de l'arrêt étudié permet de comprendre que les règles spécifiques du droit de la consommation gouvernant le crédit immobilier sont incompatibles avec la capitalisation des intérêts du droit commun. La première chambre civile rappelle qu'en présence de l'article L. 312-23 du code de la consommation, la capitalisation des intérêts de l'ancien article 1154 du code civil ne peut pas jouer purement et simplement. La solution n'appelle pas, selon nous et sur cet aspect du moins, de contestation puisque si on considérait que la solution inverse s'appliquait, la règle issue du code de la consommation n'aurait pas d'intérêt. Cet encadrement de l'anatocisme dans le cadre du droit spécial vient donc limiter le jeu de l'article 1154 ancien et donc de l'article 1343-2 nouveau à des hypothèses non régies par les textes sur le crédit immobilier ou sur le crédit à la consommation.

Cette application raisonnée des textes de droit spécial invite à la prudence pour les établissements bancaires qui agissent contre les emprunteurs dans le cadre d'un crédit immobilier. Mais sur, ce pan, la solution n'est pas réellement originale car le texte laisse présager directement de la solution choisie par la Cour de cassation. Certes, l'article L. 312-23 ancien ne traite pas expressément de la capitalisation des intérêts mais il paraît évident qu'il englobe cette interdiction-là compte tenu de sa généralité.

La difficulté qui a induit la cassation provient du truchement de la caution solvens et des intérêts moratoires qu'elle réclamait et qui fondait la capitalisation des intérêts ordonnée en appel.

Du rebond de l'interdiction sur les recours de la caution

Tout le nœud du problème réside dans la portée de l'article L. 312-23 ancien : doit-il s'appliquer également à la caution agissant contre l'emprunteur ? En l'espèce, le garant agissait désormais contre les débiteurs et il demandait des intérêts moratoires. C'est de cette capitalisation des intérêts dont il s'agit. La cour d'appel avait considéré que l'interdiction formulée par le code de la consommation ne portait que dans les rapports entre l'emprunteur et la banque excluant ceux entre la caution et le débiteur principal.

Ce raisonnement est refusé par la première chambre civile, qui précise que « cette interdiction concerne tant l'action du prêteur contre l'emprunteur que les recours personnel et subrogatoire exercés contre celui-ci par la caution ». La solution implique plusieurs observations. La première concerne l'action subrogatoire : sur ce point, la décision du 20 avril 2022 paraît particulièrement peu critiquable. La subrogation personnelle implique que le tiers solvens puisse revêtir les habits juridiques du créancier qu'il remplace. Par conséquent, quand la caution paie l'établissement bancaire, la règle issue du code de la consommation et interdisant l'anatocisme ne peut que rebondir fort logiquement sur l'action subrogatoire que la caution exerce contre le débiteur puisqu'il ne s'agit ni plus ni moins de la même action que cette dernière, simplement transmise au tiers ayant réglé la dette d'autrui.

Sur le recours personnel, la question reste plus délicate puisque cette action n'est pas la même que celle utilisée par la banque. La première chambre civile, tout en citant les deux recours de la caution, n'explique pas pourquoi l'action personnelle de la caution est assujettie à la même règle de prohibition de capitalisation des intérêts issue du code de la consommation. La solution est pragmatique pour uniformiser l'application du texte et empêcher la caution d'être placée dans une situation plus favorable que l'établissement bancaire alors que la créance ayant généré le recours personnel n'a pas bénéficié d'une telle capitalisation des intérêts.

En tout état de cause, voici une solution intéressante notamment pour les praticiens. La question de la portée de l'interdiction de l'anatocisme dans le cadre du crédit immobilier n'avait pas été traitée jusqu'ici dans un arrêt publié au Bulletin à notre connaissance. La première chambre civile souhaite donc à travers une telle publication mettre fin au doute : ni l'établissement bancaire au titre du crédit immobilier ni la caution dans son recours contributif ne peuvent demander au débiteur la capitalisation des intérêts dans une telle opération.

 

Par Cédric Hélaine

Civ. 1re, 20 avr. 2022, FS-B, n° 20-23.617

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