Du droit d'appel de la partie civile : interprétation jurisprudentielle
La décision du tribunal correctionnel qui, après avoir statué sur l'action publique, renvoie l'examen de la recevabilité de la constitution de partie civile à une audience ultérieure est susceptible d'appel par la partie civile.
En l'espèce, le tribunal correctionnel, statuant sur des faits, notamment de traite des êtres humains et d'emploi d'un étranger en situation irrégulière, avait condamné le prévenu et renvoyé à une audience ultérieure l'examen tant de la recevabilité des constitutions de partie civile que des demandes indemnitaires.
Tant le prévenu que le ministère public avaient interjeté appel de la décision.
Statuant donc sur la seule action publique, la cour avait confirmé la condamnation du chef d'emploi d'un étranger en situation irrégulière mais relaxé du chef de l'infraction de traite.
Ultérieurement, statuant sur l'action civile, le tribunal avait déclaré irrecevable la constitution d'une association en l'absence de condamnation du chef de traite et limité l'indemnisation de la victime au seul préjudice résultant de la condamnation du chef d'emploi d'un étranger non muni d'une autorisation de travail en raison de l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel.
Dans un arrêt aussi bien pédagogique que pragmatique, la haute cour livre le raisonnement à adopter face à cette problématique.
La solution du litige, indique-t-elle, nécessite de répondre à la question de savoir si les parties civiles pouvaient ou non interjeter appel du jugement qui avait statué sur l'action publique et renvoyé à une audience ultérieure l'examen de la recevabilité de la constitution de partie civile.
Analysant les articles pertinents du code de procédure pénale, elle indique qu'« il se déduit des articles 3 et 464 du code de procédure pénale que lorsque le tribunal correctionnel soulève d'office l'irrecevabilité de la constitution d'une partie civile ou est saisi, par les parties ou le ministère public, d'une telle contestation, en application de l'article 423 du code de procédure pénale, il ne peut statuer sur la recevabilité desdites constitutions qu'accessoirement à la décision qu'il rend sur le fait délictueux et par le jugement qui prononce sur l'action publique ».
Il sera d'ores et déjà rappelé que ce principe de solidarité des actions publique et civile et le caractère d'ordre public de la règle selon laquelle le tribunal répressif ne peut statuer sur l'action civile qu'accessoirement à la décision qui prononce sur la prévention sont établis de longue date (v. not. Crim. 23 oct. 1968, n° 68-90.494 ; 8 mars 1995, n° 94-83.896).
Ce qui est nouveau, en l'espèce, est la conclusion qui en est tirée.
En effet, poursuit la haute cour, le refus du tribunal correctionnel de statuer sur la recevabilité de la constitution de partie civile en même temps que l'action publique porte nécessairement atteinte aux intérêts de la partie civile car, en cas d'appel du prévenu ou du ministère public, elle se trouve privée de la possibilité de participer aux débats sur l'action publique devant la cour d'appel et de mettre celle-ci en mesure de statuer sur son action civile après évocation.
La partie civile pouvait donc interjeter appel de la décision du tribunal correctionnel statuant sur l'action publique et renvoyant l'examen de la recevabilité de sa constitution de partie civile à une audience ultérieure.
De ce fait, en l'espèce, faute d'avoir interjeté appel de ce jugement, la partie civile ne pouvait reprocher aux juges du fond de lui opposer dans le cadre de son action indemnitaire l'autorité de chose jugée au pénal.
Il s'agit là d'une interprétation nouvelle de la Cour de cassation.
Pour éviter les conséquences rigoureuses de l'application à l'espèce de cette règle, la haute cour, au visa de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, l'écarte. Elle rappelle que l'application immédiate d'une règle de procédure résultant d'une interprétation nouvelle de la Cour de cassation non prévisible pour la partie civile doit être écartée dès lors qu'elle aboutit à la priver d'un procès équitable en lui interdisant l'accès au juge (v., pour de précédents arrêts écartant à l'espèce une nouvelle interprétation jurisprudentielle, Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 01-10.426, D. 2004. 2956 , note C. Bigot ; ibid. 2005. 247, chron. P. Morvan ; AJ pénal 2004. 411, obs. J. Leblois-Happe ; RTD civ. 2005. 176, obs. P. Théry ; Cass., ass. plén., 21 déc. 2006, n° 00-20.493, D. 2007. 835, et les obs. , note P. Morvan ; RTD civ. 2007. 72, obs. P. Deumier ; ibid. 168, obs. P. Théry ).
Dès lors, elle renvoie aux juges du fond en circonscrivant la mission qui leur est impartie à savoir « rechercher l'existence d'une faute civile du prévenu définitivement relaxé, cette faute devant être démontrée à partie et dans les faits objets de la poursuite ».
Par Lucile Priou-Alibert
Crim. 15 févr. 2022, FS-B, n° 20-86.486
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