Directive 2011/83/UE : de la qualité de professionnel de l'intermédiaire
Dans un arrêt rendu le 24 février 2022 Tiketa, la Cour de justice de l'Union européenne vient apporter des éclairages sur la directive 2011/83/UE notamment sur la qualité de l'intermédiaire agissant au nom ou pour le compte d'un premier professionnel dans les contrats conclus à distance.
On sait que la directive 2011/83/UE génère un certain contentieux tant sa portée est importante à travers la définition donnée du professionnel en droit de la consommation (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 186, n° 169). À l'été dernier, nous avions évoqué au sujet de ce texte une question prioritaire de constitutionnalité qui n'avait pas été transmise au Conseil constitutionnel (Civ. 1re, 1er juill. 2021, n° 21-40.008, Dalloz actualité, 15 juill. 2021, obs. C. Hélaine). C'est aujourd'hui une difficulté d'interprétation du champ de la directive qui retient notre attention en examinant l'arrêt Tiketa rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 24 février 2022. Cet arrêt vient préciser la réponse à une question sujette à débat à propos de l'intermédiaire, en l'espèce un distributeur de billets agissant pour le compte d'un professionnel organisant un événement culturel. La solution de ce renvoi préjudiciel intéressera bien évidemment les spécialistes de droit de la consommation et les praticiens de ce contentieux.
Pour correctement poser le problème, il faut rappeler les faits ayant conduit à la question préjudicielle qui provient de Lituanie. Le 7 décembre 2017, une personne physique domiciliée en Lituanie acquiert un billet pour un événement culturel programmé le 20 janvier 2018. Le ticket a été acheté auprès d'une société qui exerce une activité de distribution de billets (la société Tiketa). Le site internet de Tiketa indiquait que l'événement culturel en question était organisé par « Baltic Music » et renvoyait vers un site internet distinct concernant cet événement. Sur le site internet de la billetterie figuraient également en lettres rouges des indications précisant que l'organisateur de l'événement portait l'entière responsabilité de celui-ci et que Tiketa n'agissait qu'en « qualité d'intermédiaire ostensible ». Les conditions générales du site de distribution de billets venaient compléter ces informations, notamment à travers les conditions de remboursement. Le billet final reçu par l'acheteur ne comportait toutefois qu'une partie des conditions générales en indiquant que les billets ne peuvent être ni échangés ni remboursés. Le support final indiquait également qu'en cas d'annulation, ce serait l'organisateur de l'événement qui se chargerait du remboursement des billets puisque la société Tiketa n'agissait qu'en qualité d'intermédiaire « ostensible ».
Voici où le problème commence à apparaître : l'événement n'a finalement pas lieu. Le 22 janvier 2018, la société Tiketa est informée de l'annulation de l'événement si bien que cette dernière a proposé le remboursement des billets aux acheteurs. Le 23 janvier 2018, notre acheteur déçu sollicite non seulement le remboursement de son billet mais également l'indemnisation du préjudice moral subi par l'annulation de l'événement en cause. La société de distribution des billets lui indique que c'est la société organisatrice de l'événement qui devait répondre du préjudice moral consécutif à l'annulation. La société organisatrice de l'événement ne répond pas à l'acheteur.
Devant ce refus et ce silence, le 18 juillet 2018, l'acheteur du billet déçu saisit le Vilniaus miesto apylinkės teismas (le tribunal de la ville Vilnius) afin que la société Tiketa et la société organisatrice de l'événement soient solidairement condamnées à l'indemnisation du préjudice matériel subi – à savoir les frais de transport essentiellement – et du préjudice moral allégué. Le tribunal condamne la société intermédiaire à verser les sommes demandées au titre de la réparation du préjudice matériel subi. Le préjudice moral est également réparé, mais partiellement. Devant le Vilniaus apygardos teismas – la juridiction compétente en appel de Vilnius – le jugement est confirmé si bien que la société intermédiaire Tiketa se pourvoit en cassation.
La Cour suprême de Lituanie décide de surseoir à statuer pour poser à la Cour de justice de l'Union européenne deux questions préjudicielles sur l'application de la directive 2011/83/UE. Pour le confort de nos lecteurs, les deux questions seront reproduites ci-dessous.
1. Convient-il d'interpréter la notion de « professionnel » telle que définie à l'article 2, point 2, de la directive 2011/83 en ce sens qu'une personne qui intervient en tant qu'intermédiaire lors de l'achat d'un billet [de spectacle] par un consommateur peut être considérée comme un professionnel, tenu par les obligations qu'impose [cette directive], et donc comme une partie au contrat de vente ou de services, auprès de laquelle le consommateur peut faire valoir ses droits, à laquelle il peut adresser des réclamations et contre laquelle il peut agir en justice ?
2. Convient-il d'interpréter et d'appliquer l'exigence de fournir certaines informations au consommateur et de rédiger ces informations dans un langage clair et compréhensible énoncée à l'article 8, § 1, de la directive 2011/83 en ce sens que l'obligation d'informer le consommateur est considérée comme ayant été dûment exécutée lorsque les informations sont fournies dans les conditions générales de prestation de services de l'intermédiaire, dont le consommateur prend connaissance sur le site internet tiketa.lt, confirmant, préalablement au règlement, par clicwrap, c'est-à-dire de façon active, en cochant, en ligne, la case prévue à cet effet et en cliquant sur le lien correspondant, qu'il a pris connaissance des conditions générales de prestation de services de l'intermédiaire et s'obligeant à les respecter comme faisant partie des clauses contractuelles ?
Nous distinguerons les deux réponses dans la suite de notre analyse : la première porte sur la qualité de professionnel de l'intermédiaire au sens de la directive 2011/83/UE tandis que la seconde s'intéresse à l'application de ce texte au sujet des informations données avant et après la conclusion du contrat.
Sur la qualité de professionnel de l'intermédiaire
La difficulté de la première question préjudicielle repose sur une disparité entre les traductions opérées au sein de la directive. La Cour de justice de l'Union rappelle ainsi que, dans la version française par exemple, l'article 2, point 2, de la directive 2011/83 définit le professionnel comme toute personne répondant à la définition posée par la directive, « y compris, lorsqu'elle agit par l'intermédiaire d'un tiers agissant en son nom ou pour son compte, laissant ainsi entendre que le fait qu'une personne fasse appel à un intermédiaire ne lui retire pas sa qualité de professionnel » (nous soulignons). On ne retrouve pas une telle formulation ni même cette idée dans la version lituanienne. Se pose donc une question d'interprétation liée aux disparités linguistiques, ce qui est assez fréquent comme nous l'avons déjà vu il y a un peu moins de deux mois dans la jurisprudence de la Cour de justice (CJUE 21 déc. 2021, aff. C-243/20, Dalloz actualité, 24 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 5 ). La Cour rappelle par conséquent la solution qu'elle avait dégagée dans l'arrêt précédemment évoqué : il faut interpréter la disposition en cause en fonction de l'économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément. Il s'agit d'une jurisprudence constante en cas de disparités dans les versions linguistiques qui permet d'assurer une bonne cohérence des textes de l'Union.
Aux paragraphes nos 28 à 33, la Cour de justice de l'Union européenne vient trancher la question très précisément. L'intermédiaire peut être qualifié de professionnel au sens de la directive sans caractériser « une double prestation de services ». La solution paraît logique eu égard à l'interprétation large du champ d'application de la directive (paragraphe n°30 de la décision commentée). À dire vrai, si le problème n'est pas envisagé directement par le texte, on perçoit mal quels arguments juridiques pourraient militer pour la solution inverse en connaissant la jurisprudence extensive de la Cour de justice au sujet de la directive 2011/83/UE. Si le problème était, en tout état de cause, une vraie difficulté d'interprétation linguistique, la difficulté portait davantage sur la qualité inégale des traductions opérées que sur le fond du problème.
On peut, au contraire certes, regretter que le champ de définition du professionnel concerné par le texte soit élargi d'une manière que certains jugeront artificielle. Le distributeur de billets ne fait que d'agir pour le compte de l'organisateur de l'événement, il ne fait en quelque sorte qu'écran entre l'utilisateur final du billet la société organisatrice. Fallait-il alors considérer cet intermédiaire comme un professionnel ? La réponse donnée relève d'un certain pragmatisme puisque tout l'enjeu de la question restait l'application de la directive à ces acteurs économiques très nombreux qui ne sont pas réductibles, bien évidemment, aux seuls distributeurs de billets. Mais, en tout état de cause, ceux-ci ont tous les habits juridiques du professionnel en dépit de leur qualité d'intermédiaire.
Par conséquent, l'intermédiaire qui agit au nom ou pour le compte du professionnel peut lui-même être qualifié de professionnel au sens de la directive 2011/83/UE. Il s'agit du principal enseignement de cette décision. Nous assistons, par conséquent, avec l'arrêt Tiketa à une multiplication des débiteurs des obligations d'informations se trouvant dans les textes concernés, si bien que le consommateur créancier de ces obligations peut alors maximiser ses recours afin d'obtenir réparation de son préjudice.
Cette première question réglée, restait à la Cour de justice la seconde interrogation plus épineuse et plus technique en termes de droit de la consommation.
Sur le support de l'information précontractuelle fournie au consommateur
La seconde question est, comme nous venons de le dire, plus complexe. Elle prend sa source dans la disparité des informations contenues sur le site internet de la société intermédiaire distributrice des billets Tiketa et sur le support durable qui ne comprenait pas l'ensemble des informations visées à l'article 6, § 1, de la directive 2011/83/UE (par exemple, les principales caractéristiques du produit et le nom du professionnel) comme l'exige pourtant l'article 8, § 7, de ce texte. Nous passerons sur le rappel de la présomption de pertinence de la question (pt 39) car la société Tiketa – demanderesse au pourvoi devant la Cour suprême de Lituanie – avait soulevé que cette seconde question n'avait pas d'intérêt.
L'interrogation se résume facilement : la fourniture des informations nécessaires peut-elle se faire seulement dans les conditions générales du site internet de l'intermédiaire professionnel ? Pour élaborer son raisonnement, la Cour rappelle la distinction entre la portée de l'article 6, § 1, et de l'article 8, § 1, de la directive 2011/83/UE. Le premier concerne des informations à donner avant la conclusion du contrat (obligations de fond) tandis que le second concerne les informations formelles fournies au consommateur (obligations relatives à la forme). Cette distinction est utilisée comme colonne vertébrale de l'argumentation déployée dans la suite de l'arrêt.
Il faut bien l'avouer : la réponse donnée n'est pas limpide tant la formulation de la décision est complexe. Une constante peut être toutefois facilement trouvée : les informations visées à l'article 6, § 1 (les obligations de fond), peuvent se trouver – avant la conclusion du contrat – seulement dans les conditions générales de la prestation. La condition posée à ceci tient au caractère « clair et compréhensible » de ces informations dans lesdites conditions générales (pt 45 de l'arrêt). Sur ce point, l'arrêt botte en touche d'une manière fort pertinente : c'est à la juridiction de renvoi de se pencher sur ce caractère clair et compréhensible en l'espèce (pt 47 de l'arrêt). Nous noterons que, sur ce point, les informations peuvent être rapidement noyées dans un flot trop important de données et le caractère clair sera ainsi vite perdu.
La complexité reste alors de confronter ce premier raisonnement précontractuel à l'article 8, § 7, de la directive lequel prévoit que le professionnel doit fournir la confirmation du contrat conclu sur un support durable après la conclusion du contrat à distance. La confirmation comprend notamment toutes les informations visées à l'article 6, § 1, dont nous venons de dire qu'avant la conclusion du contrat, celles-ci peuvent être seulement présentes dans les conditions générales à la condition que celles-ci soient claires et compréhensibles.
En somme, la solution invite à bien distinguer deux temps pour les professionnels :
• Avant la conclusion du contrat, les informations visées à l'article 6, § 1, de la directive peuvent être seulement incluses dans les conditions générales de la prestation de services tant que les informations apparaissent clairement et d'une manière compréhensible à l'utilisateur. Comme nous l'avons dit, la preuve contraire sera fréquemment rencontrée puisque les conditions générales noient souvent ces informations indispensables dans une série de données peu lisible pour l'utilisateur du produit.
- Après la conclusion du contrat, l'article 8, § 7, de la directive impose une remise au consommateur de la confirmation du contrat sur un support durable avec les informations de l'article 6, § 1, reproduites.
Cette combinaison invitera la Cour suprême de Lituanie à bien distinguer ces deux temps pour trancher le problème concernant les conditions générales du site Tiketa pour l'achat des billets.
En conséquence, voici une décision intéressante qui suppose surtout de remarquer l'interprétation large de la directive 2011/83/UE notamment sur la qualité de professionnel de l'intermédiaire. La décision permet également de mieux comprendre comment la fourniture des informations peut être apportée dans les conditions générales. Si une certaine liberté peut être prise avant la conclusion du contrat en ne reportant les informations requises que dans les conditions générales d'une manière claire et compréhensible, ceci n'occulte pas la portée du support durable requis par le texte. En somme, prudence avec la définition du professionnel qui ne cesse de gagner du terrain et avec elle la fourniture des informations de fond et de forme !
Par Cédric Hélaine
CJUE 24 févr. 2022, aff. C-536/20
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