Deux nouvelles ordonnances en matière de droit aérien
Prises sur habilitation de la loi du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances, deux ordonnances, toutes deux en date du 1er juin 2022, instituent des régimes : respectivement de contrôle de l'alcoolémie et de l'usage de stupéfiants des personnels navigants et de sanctions administratives et pénales permettant de réprimer le comportement de passagers aériens perturbateurs.
La loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances (JO 9 oct.) – dite parfois « DDADUE 2021 » – comporte un important volet de droit aérien. Elle a ainsi, entre autres, et c'est sans doute là la mesure la plus importante qu'elle a édictée, modifié le régime de responsabilité civile des transporteurs aériens en droit interne, alignant celui-ci sur le régime applicable en transport international (art. 8 ; N. Balat, L'alignement du droit interne sur le droit international de la responsabilité du transporteur aérien, D. 2021. 2186 ). Elle a également habilité le gouvernement à prendre quatre ordonnances, deux dans un délai de six mois, les deux autres dans un délai de huit mois.
Les deux premières ordonnances sont en date du 30 mars 2022. L'ordonnance n° 2022-455 est relative à la surveillance du marché et au contrôle des produits mentionnés au premier paragraphe de l'article 2 du règlement délégué (UE) 2019/945 du 12 mars 2019 relatif aux systèmes d'aéronefs sans équipage à bord (c'est-à-dire aux systèmes de drones) et aux exploitants, issus de pays tiers, de systèmes d'aéronefs sans équipage à bord. L'article précité vise : a) les systèmes d'aéronefs sans équipage à bord ou « UAS » (unmanned aircraft systems), dont l'exploitation présente le moins de risques et qui appartiennent à la catégorie d'exploitations « ouverte » (et qui ne sont pas soumis, à ce titre, aux procédures classiques de mise en conformité dans le domaine aéronautique), à l'exception des UAS construits à titre privé, et portant une étiquette d'identification de classe ; b) les dispositifs complémentaires d'identification à distance. Quant à l'ordonnance n° 2022-456, elle est relative à la création d'un régime de déclaration dans le domaine de la sécurité aérienne et à l'adaptation du droit national à l'entrée en vigueur du règlement (UE) 2018/1139 du 4 juillet 2018 concernant des règles communes dans le domaine de l'aviation civile et instituant une Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne. L'ordonnance permet la délivrance d'une licence d'exploitation communautaire ou régie par la législation nationale indépendamment de l'obtention du certificat de transporteur aérien (CTA), qui peut être obtenue selon plusieurs procédures, soit par déclaration, soit par demande d'autorisation. Le régime de déclaration se présente comme une formalité intermédiaire entre l'autorisation et l'absence d'autorisation, au titre des exigences de sécurité pour l'exercice d'activités aériennes. Les deux ordonnances les plus récentes sont en date du 1er juin 2022.
Contrôles de l'alcoolémie et de l'usage de stupéfiants
L'ordonnance n° 2022-830 relative aux contrôles de l'alcoolémie et de l'usage de stupéfiants dans le domaine de l'aviation civile a pour objet de mettre en œuvre les obligations de conduire de tests d'alcoolémie sur les équipages, et la possibilité d'effectuer des tests pour d'autres substances psychoactives, introduites par le règlement (UE) n° 2018/1042 du 23 juillet 2018 modifiant le règlement (UE) n° 965/2012 du 5 octobre 2012, dit « AIR-OPS ». Le règlement de 2018 se présente comme une réponse à l'accident particulièrement grave qui avait causé la mort, en mars 2015, des passagers d'un vol de la compagnie Germanwings en raison d'un mouvement suicidaire du pilote qui avait délibérément précipité l'avion qu'il conduisait sur un flanc de montagne dans les Alpes du sud.
L'ordonnance introduit ainsi des procédures des contrôles d'alcoolémie et d'usage de stupéfiants, qui s'appliquent aux personnes visées par le nouvel article L. 6225-1 du code des transports (pilotes, membres d'équipage de cabine, membres d'équipage technique, personnels navigants d'essais et réceptions, élèves pilotes, parachutistes professionnels, télépilotes effectuant des opérations présentant un risque particulier pour les personnes et les biens, devant être définies par décret).
1. Au titre du contrôle de l'alcoolémie, il est d'abord précisé que, même en l'absence de tout signe d'ivresse manifeste, il est interdit aux personnes ci-dessus « d'exercer leurs fonctions dans le cadre d'un vol réel, sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par une concentration d'alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,20 gramme par litre ou par une concentration d'alcool dans l'air expiré égale ou supérieure à 0,10 milligramme par litre » (C. transp., art. L. 6225-2 nouv.).
Les officiers ou agents de police judiciaire de la gendarmerie ou de la police nationale territorialement compétents peuvent ensuite, soit sur réquisitions du procureur de la République précisant les lieux et dates des opérations, soit à leur initiative, même en l'absence d'infraction préalable, d'accident ou d'incident, soumettre les personnes visées à l'article L. 6225-1 à des vérifications destinées à établir l'état alcoolique, qui peuvent être précédées des épreuves de dépistage de l'imprégnation alcoolique dans l'air expiré. Par ailleurs, sur l'ordre et sous la responsabilité des officiers de police judiciaire, les agents de police judiciaire adjoints peuvent, même en l'absence d'infraction préalable, d'accident ou d'incident, soumettre toute personne visée par la loi à des épreuves de dépistage de l'imprégnation alcoolique dans l'air expiré (C. transp., art. L. 6225-3 nouv.).
Lorsque les épreuves de dépistage permettent de présumer l'existence d'un état alcoolique, ou lorsque la personne refuse de les subir ou en cas d'impossibilité de les subir résultant d'une incapacité physique attestée par le médecin requis, les officiers ou agents de police judiciaire font procéder aux vérifications destinées à établir la preuve de l'état alcoolique (C. transp., art. L. 6225-4 nouv.).
Lorsqu'il a été procédé aux épreuves de dépistage et aux vérifications ci-dessus, le placement en garde à vue de la personne, si les conditions de cette mesure prévues par le code de procédure pénale sont réunies, n'est pas obligatoire dès lors que cette personne n'est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu'elle a été informée des droits mentionnés à l'article 61-1 du code de procédure pénale (garanties prévues en faveur des personnes soupçonnées d'infractions, mais qui demeurent en audition libre, à savoir information, entre autres, de la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre) (C. transp., art. L. 6225-5 nouv.).
2. En ce qui concerne les contrôles de l'usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, il est d'abord précisé qu'il est interdit aux personnes mentionnées à l'article L. 6225-1 du code des transports « d'exercer leurs fonctions dans le cadre d'un vol réel, après avoir fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants » (C. transp., art. L. 6225-6 nouv.).
Là encore, les officiers ou agents de police judiciaire de la gendarmerie ou la police nationales territorialement compétents, agissant sur réquisitions du procureur de la République précisant les lieux et dates des opérations et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ces officiers de police judiciaire, les agents de police judiciaire adjoints peuvent, même en l'absence d'accident, d'incident, d'infraction ou de raisons plausibles de soupçonner un usage de stupéfiants, procéder ou faire procéder, sur toute personne mentionnée à l'article L. 6225-1, « à des épreuves de dépistage en vue d'établir si cette personne exerçait ses fonctions après avoir fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants » (C. transp., art. L. 6225-7 nouv.).
Lorsque les épreuves de dépistage se révèlent positives ou lorsque la personne refuse ou est dans l'impossibilité de les subir, les officiers ou agents de police judiciaire font procéder à des vérifications consistant en des analyses ou examens médicaux, cliniques et biologiques, en vue d'établir si la personne exerçait ses fonctions après avoir fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants (C. transp., art. L. 6225-8 nouv.).
Et tout comme en matière de contrôle d'alcoolémie, lorsqu'il a été procédé aux épreuves de dépistage et aux vérifications prévues en matière de contrôle de l'usage de stupéfiants, le placement en garde à vue de la personne, si les conditions de cette mesure prévues par le code de procédure pénale sont réunies, n'est pas obligatoire dès lors que cette personne n'est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu'elle a été informée des droits mentionnés à l'article 61-1 du code de procédure pénale (C. transp., art. L. 6225-9 nouv.).
3. Que ce soit en cas d'alcoolémie ou d'usage de stupéfiants, les officiers et agents de police judiciaire retiennent à titre conservatoire le titre aéronautique de la personne visée à l'article L. 6225-1 en certaines circonstances, notamment en cas « d'ivresse manifeste alors que la personne était en fonction ». La décision de rétention du titre aéronautique, qu'elle soit ou non accompagnée de la remise matérielle de ce titre, donne lieu à l'établissement d'un avis de rétention. Lorsque les fonctions de la personne concernée ne nécessitent pas la détention d'un titre aéronautique ou lorsqu'elle détient un titre aéronautique ou document équivalent délivré par un autre État ou lorsque le support du titre aéronautique est exclusivement dématérialisé rendant impossible toute détention matérielle, elle se voit adresser une notification d'interdiction à titre conservatoire d'exercice des fonctions (C. transp., art. L. 6231-3 nouv.). Les officiers ou agents de police judiciaire transmettent l'avis de rétention du titre aéronautique ou la notification d'interdiction à titre conservatoire d'exercice des fonctions à l'autorité administrative compétente, à savoir, on l'imagine, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) (C. transp., art. L. 6231-4 nouv.). Cette dernière peut prononcer la suspension du titre aéronautique, notamment lorsque l'état alcoolique de l'intéressé « est établi au moyen d'un appareil homologué », ou lorsque les vérifications effectuées « apportent la preuve de cet état ou que la personne concernée a refusé de se soumettre aux épreuves et vérifications destinées à établir la preuve de l'état alcoolique ». La durée de la suspension du titre aéronautique ne peut excéder un an (C. transp., art. L. 6231-5 nouv.).
Enfin, l'ordonnance édicte un tout un arsenal de sanctions pénales applicables en cas de consommation d'alcool ou à l'usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants (C. transp., art. L. 6232-14 à L. 6232-23 nouv.). Ainsi, même en l'absence de tout signe d'ivresse manifeste, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 € d'amende le fait, pour une personne mentionnée à l'article L. 6225-1, de se trouver, dans l'exercice de ses fonctions sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par : 1° une concentration d'alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,20 gramme par litre ou par une concentration d'alcool dans l'air expiré égale ou supérieure à 0,10 milligramme par litre pour les personnes exerçant à titre professionnel ou à titre onéreux ; 2° une concentration d'alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,50 gramme par litre ou par une concentration d'alcool dans l'air expiré égale ou supérieure à 0,25 milligramme par litre pour les personnes n'exerçant ni à titre professionnel ni à titre onéreux. Le fait, pour ces personnes, d'exercer leurs fonctions en état d'ivresse manifeste ou de refuser de se soumettre aux vérifications imposées par la loi est puni des mêmes peines (C. transp., art. L. 6232-14 nouv.). Des peines complémentaires sont également prévues : 1° suspension du titre aéronautique ou une interdiction d'exercer ses fonctions au-dessus du territoire français, pour une durée de trois ans au plus ; 2° annulation du titre aéronautique avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau titre aéronautique pendant trois ans au plus (C. transp., art. L. 6232-16 nouv.).
Répression du comportement des passagers aériens perturbateurs
L'ordonnance n° 2022-831 crée un régime de sanctions administratives et pénales permettant de réprimer le comportement de passagers aériens perturbateurs, dits PAXI, compte tenu du fait que « le phénomène des passagers aériens perturbateurs s'accroît de façon préoccupante depuis quelques années », l'Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne ayant ainsi constaté que, « toutes les trois heures, la sécurité d'un vol dans l'Union européenne est menacée par des passagers ayant un comportement indiscipliné ou perturbateur », ce qui constitue non seulement « une entrave à l'exercice des missions de sécurité des personnels navigants des compagnies aériennes, comme au bon déroulement des vols, mais aussi une menace pour l'ensemble des personnes à bord, dont les autres passagers » (communiqué de presse du Conseil des ministres, 1er juin 2022). Face à ce phénomène, l'ordonnance renforce le cadre juridique existant.
Elle pose tout d'abord une règle générale, qui consiste en une obligation d'abstention qui pèse sur tout passager : « Le passager empruntant un vol exploité en transport aérien public ne doit, par son comportement, pas compromettre ou risquer de compromettre la sécurité de l'aéronef ou celle de personnes ou de biens à bord » (C. transp., art. L. 6421-5 nouv.). Elle ajoute que les transporteurs aériens titulaires d'une licence d'exploitation de transporteur aérien délivrée par la France peuvent porter à la connaissance de l'autorité administrative compétente (la DGAC) les faits qu'ils estiment constitutifs de manquements à l'obligation ci-dessus et qui sont passibles d'une amende administrative ou d'une interdiction d'embarquement à bord d'un aéronef, aux fins de voir celles-ci infligées à leur auteur (C. transp., art. L. 6421-6 nouv.). Le transporteur qui a signalé ces manquements ainsi que, le cas échéant, les agences de voyages et tour-opérateurs, sont tenus de communiquer aux agents publics compétents toutes informations et tous documents de nature à en permettre le constat, sans que puisse leur être opposé le secret professionnel (C. transp., art. L. 6421-7 nouv.).
L'ordonnance crée ensuite un régime de sanctions administratives graduées pouvant être prononcées par l'autorité administrative compétente envers un passager perturbateur qui, lors d'un vol exploité en transport aérien public par une compagnie française, entrave l'exercice des missions de sécurité du personnel navigant ou refuse de se conformer à une instruction de sécurité donnée par le personnel navigant. Deux catégories de sanctions sont prévues : une amende administrative d'un montant de 10 000 € maximum (susceptible d'être doublé en cas de récidive) et une interdiction d'embarquement, d'une durée maximale de deux ans (pouvant être assortie d'un sursis partiel ou total, mais qui est portée à quatre ans en cas de récidive), à bord des aéronefs exploités par une compagnie française (C. transp., art. L. 6432-4 à L. 6432-13 nouv.)
Enfin, l'ordonnance prévoit la possibilité de sanctionner pénalement, de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende, le fait de compromettre la sécurité d'un aéronef en vol par la destruction, la dégradation ou la détérioration volontaire d'un des éléments de l'aéronef ou du matériel de sécurité à bord (C. transp., art. L. 6433-3 nouv.). Comme le précise le rapport au président de la République, l'objectif de cette disposition est de « permettre la répression de toute atteinte à un élément de l'aéronef, quel qu'il soit, et dont la dégradation serait susceptible de porter atteinte à la sécurité d'un vol, soit directement, soit indirectement en accaparant l'attention des personnels navigants sur cet événement, réduisant leurs capacités d'engagement sur leur mission principale d'assurer la sécurité du vol ».
Ces deux ordonnances du 1er juin 2022 doivent encore être complétées par des décrets d'application.
Par Xavier Delpech
Ord. n° 2022-830, 1er juin 2022, JO 2 juin ; Ord. n° 2022-831, 1er juin 2022, JO 2 juin.
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