Détention provisoire : portée de la détention d'un djihadiste effectuée en Afghanistan

Si l'article 716-4 du code de procédure pénale n'exclut pas de son domaine d'application une détention subie à l'étranger, assimilable à une détention provisoire, encore faut-il que cette détention ait été ordonnée dans le cadre d'une procédure suivie à l'étranger pour tout ou partie des faits jugés ultérieurement en France.

Lorsqu'il y a eu détention provisoire, quel que soit le moment de la procédure où elle a eu lieu, celle-ci est décomptée de la peine qu'a prononcée le jugement ou l'arrêt de condamnation, ou s'il y a lieu de la durée totale de la peine à subir après confusion (C. pr. pén., art. 716-4). Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, « il en est de même, s'agissant d'une détention provisoire ordonnée dans le cadre d'une procédure suivie pour les mêmes faits que ceux ayant donné lieu à condamnation, si cette procédure a été ultérieurement annulée ».

Les dispositions de l'alinéa précédent sont également applicables à la privation de liberté subie en exécution d'un mandat d'amener ou d'arrêt, à l'incarcération subie hors de France en exécution d'un mandat d'arrêt européen ou sur la demande d'extradition et à l'incarcération subie en application du septième alinéa de l'article 712-17, de l'article 712-19, de l'article 728-67 et de l'article 747-3 du code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 716-4, al. 2).

Ces règles, a priori claires, laissent pourtant subsister quelques questionnements venant nourrir une jurisprudence en construction, cet arrêt du 9 novembre 2021 en constituant l'une des dernières manifestations.

En l'espèce, un homme a été arrêté en Afghanistan le 17 octobre 2012 et détenu dans une prison par les autorités américaines pendant près de dix-neuf mois. Il a ensuite été remis aux autorités françaises par les autorités américaines, le 19 mai 2014.

Il a ensuite été placé en garde à vue puis, après ouverture d'une information judiciaire, placé en détention provisoire à compter du 22 mai 2014.

Par jugement du 20 avril 2016, le tribunal correctionnel de la cour d'appel de Paris a déclaré le prévenu coupable de faits d'association de malfaiteurs terroriste et l'a condamné à neuf ans d'emprisonnement, assortis d'une période de sûreté des deux tiers, et a ordonné son maintien en détention.

L'intéressé a formé une requête en difficulté d'exécution, le 4 juillet 2019, tendant à ce que la période de détention effectuée en Afghanistan soit imputée sur la durée de la peine prononcée par jugement du 20 avril 2016.

Par jugement du 22 octobre 2019, le tribunal correctionnel de Paris a rejeté la requête.

Saisie de son appel, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement par arrêt du 9 juillet 2020, jugeant que la détention de l'intéressé en Afghanistan n'avait nullement été accomplie en vertu d'un mandat d'amener ou d'arrêt délivré par l'autorité judiciaire française et mis en œuvre par l'autorité judiciaire afghane ou encore d'une procédure d'extradition sollicitée par la première et acceptée par la seconde. Elle a ajouté que l'arrestation et la détention en question n'avaient été initiées et subies ni dans le cadre d'une enquête ou d'une information judiciaire placées sous les autorité et contrôle de la justice française ni dans le cadre d'une enquête ou d'une information d'une quelconque autorité judiciaire étrangère, qui aurait dénoncé les faits à l'autorité judiciaire française et conduit à sa condamnation en France. La détention effectuée par le requérant ne pouvait alors pas s'entendre comme une détention provisoire au sens du droit français.

Le concerné a formé un pourvoi contre cette décision le 10 juillet 2020.

Dans un premier moyen, en deux branches, il argue, d'une part, qu'il ne résulte pas de l'article 706-71 du code de procédure pénale qu'il soit permis à la cour d'appel de recourir à la visioconférence lorsqu'elle est saisie d'une requête en difficulté d'exécution. D'autre part, les seconds juges n'ont pas constaté l'accord du requérant, pour qu'il soit recouru à la visioconférence.

Dans un second moyen, également en deux branches, il avance que la période de détention qu'il a subie à l'étranger doit être imputée sur la durée de la peine prononcée par la juridiction française, puisque cette détention a été subie pour les faits ayant justifié sa condamnation pénale en France. Il se prévalait ainsi d'une violation de l'article 706-14 du code de procédure pénale.

En outre, la cour aurait dû, selon lui, rechercher si sa détention en Afghanistan s'était déroulée sous le contrôle de l'autorité judiciaire française et dans le cadre d'une procédure française, ce qui résultait de la circonstance que l'enquête avait été ouverte en France le 29 octobre 2012, à la suite de sa capture le 17 octobre 2012 et de la visite des officiers français venus l'interroger. Il se prévalait alors d'une violation de l'article 593 du code de procédure pénale.

La chambre criminelle, dans cet arrêt du 9 novembre 2021, a rejeté le pourvoi.

Sur la comparution par visioconférence

La chambre criminelle a jugé qu'il résulte de l'article 712 du code de procédure pénale que la juridiction saisie d'un incident contentieux relatif à l'exécution d'une sentence peut décider de faire application des dispositions de l'article 706-71 du même code.

En outre, s'il résulte du troisième alinéa de ce texte que le requérant devait donner son accord pour qu'il soit recouru à la visioconférence, cet accord, valablement donné lors de l'audience du 21 février 2020, ne pouvait, en application de l'article 706-71-1 de ce code, être repris.

Or, comme elle l'a constaté au regard des mentions de l'arrêt attaqué, lors de l'audience du 21 février 2020, l'intéressé avait accepté de comparaître par ce moyen de télécommunication audiovisuelle, ainsi qu'il résulte de la note d'audience. Pour ce qui est de l'audience du 11 juin 2020, le requérant a comparu par visioconférence et aucune des parties ne s'est alors opposée à ce mode de comparution.

La chambre criminelle n'avait jamais eu à se prononcer sur la question de savoir si l'article 706-71 pouvait trouver à s'appliquer lorsqu'une juridiction était saisie d'un incident contentieux relatif à l'exécution d'une sentence.

Cela revenait à se demander si, faute de précision apportée par la loi, ce recours à la visioconférence n'était pas autorisé dans le cadre du contentieux relatif à l'exécution d'une sentence, ou s'il n'y avait pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas.

La chambre criminelle a répondu de manière claire à cette question en admettant le recours à la visioconférence dans une telle hypothèse.

Restait alors à apprécier si le prévenu avait bien donné son accord. Il apparaît à l'analyse que l'arrêt attaqué ne constate pas expressément l'existence d'un tel accord. Seulement, comme le relève la Cour de cassation, il ressort de la note d'audience du 21 février 2020 que l'intéressé avait bien accepté de comparaître par le biais de la visioconférence. En outre, elle souligne également que, lors de l'audience du 11 juin 2020, le requérant a comparu par visioconférence, son avocat étant présent lors des débats, et sans qu'aucune des parties ne s'oppose à ce mode de comparution.

Dans un arrêt du 20 juin 2018 (Crim. 20 juin 2018, n° 17-84.128 P, Dalloz actualité, 18 juill. 2018, obs. M. Recotillet ; D. 2018. 1664, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ fam. 2018. 463, obs. M. Saulier ; AJ pénal 2018. 524, obs. E. Gallardo ; RSC 2018. 678, obs. Y. Mayaud ) la chambre criminelle avait déjà rejeté un moyen similaire à celui invoqué ici :

« Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que Mme A…, placée en détention provisoire dans le cadre d'une autre procédure pénale à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, a comparu par visioconférence à l'audience du 3 mai 2017, au cours de laquelle les débats se sont déroulés en présence de son avocat ; que préalablement, lors de l'audience de renvoi du 1er février 2017, la prévenue avait accepté de comparaître par ce moyen de télécommunication audiovisuelle ; qu'à ladite audience des débats, aucune des parties ne s'est opposée à ce mode de comparution ;

Attendu que, dès lors que Mme A…, assistée de son avocat, n'a pas soulevé son défaut d'accord pour être entendue par le moyen de la visioconférence et qu'elle n'a pas qualité pour invoquer un défaut d'accord des autres parties, l'arrêt de la cour d'appel n'encourt pas les griefs invoqués. »

Sur la portée de la détention provisoire effectuée à l'étranger

Selon la chambre criminelle, la cour d'appel a justifié sa décision dès lors que, « si l'article 716-4 du code de procédure pénale n'exclut pas de son domaine d'application une détention subie à l'étranger, pourvu qu'elle soit assimilable à une détention provisoire au sens dudit code, encore faut-il que cette détention ait été ordonnée dans le cadre d'une procédure suivie à l'étranger pour tout ou partie des faits jugés ultérieurement en France ».

Elle précise que, dans le cas où aucune dénonciation officielle permettant de s'assurer de la réunion de ces conditions n'aurait été faite par l'autorité étrangère, il incombe au requérant d'établir qu'il a fait l'objet d'une détention répondant à ces conditions.

Dans un arrêt du 13 mars 2013 (Crim. 13 mars 2013, n° 12-83.024 P, Dalloz actualité, 15 avr. 2013, obs. S. Fucini ; D. 2013. 915 ; AJ pénal 2013. 425, obs. J. Lasserre Capdeville ; JCP 2013. 470 ; Dr. pénal 2013. n° 84, note V. Peltier), la chambre criminelle avait déjà jugé que l'article 716-4 du code de procédure pénale n'excluait pas de son domaine d'application la détention provisoire subie à l'étranger pour des faits jugés en France, mais prévoyait au contraire, « en termes généraux, que quand il y a eu détention provisoire à quelque stade que ce soit de la procédure, cette détention est intégralement déduite de la durée de la peine prononcée ».

Seulement, il convient de rappeler que, selon l'exposé des faits à l'origine de cet arrêt, les actes ayant donné lieu à condamnation en France et pour lesquels le prévenu avait été détenu à l'étranger avaient précisément fait l'objet d'une dénonciation officielle.

Au regard de cet arrêt de 2013, il était possible de se demander si l'existence d'une telle dénonciation était ce qui permettait de rattacher la détention effectuée à l'étranger à « quelque stade que ce soit » de la procédure française.

Dans la présente espèce, l'arrêt attaqué énonçait que la remise n'avait eu lieu que dans un cadre purement administratif, sans dénonciation officielle de quelconques faits, précisément. Après l'avoir relevée, la chambre criminelle s'empresse pourtant d'ajouter que, dans une telle hypothèse, il reste toujours possible au requérant de démontrer qu'il a fait l'objet d'une détention antérieure ayant été ordonnée à l'étranger pour tout ou partie des faits jugés ultérieurement en France.

Pour le dire autrement, ce n'est pas tant la dénonciation officielle de l'autorité officielle qui compte pour justifier de la mise en œuvre de l'article 716-4 du code de procédure pénale – comme on aurait pu le croire auparavant – que la matérialité des faits, laquelle doit être au moins en partie à l'origine des différents placements en détention.

 

Par Sofian Goudjil

Crim. 9 nov. 2021, FS-B, n° 20-84.394

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