Désignation de l'avocat par la personne avisée d'une garde à vue
Se rapportant à une affaire largement médiatisée, l'arrêt commenté permet de préciser les conditions de désignation d'un avocat par la personne avisée d'une mesure de garde à vue, ainsi que d'expliciter le régime de nullité résultant d'une violation alléguée du secret de l'enquête.
Courant février 2020, un ancien porte-parole du gouvernement a été amené à retirer sa candidature aux élections municipales pour la mairie de Paris, après avoir été victime d'un kompromat, par la divulgation sur internet de vidéos personnelles à caractère sexuel, dans le but de nuire à ses ambitions politiques.
Une plainte simple a été déposée pour atteinte à l'intimité de la vie privée par fixation, enregistrement ou transmission d'images présentant un caractère sexuel (C. pén., art. 226-2-1, al. 1) et diffusion sans son accord d'un enregistrement ou document portant sur des paroles ou images à caractère sexuel (C. pén., art. 226-2-1, al. 2). L'occasion de rappeler que, pour cette catégorie d'infractions, l'action publique ne peut être exercée que sur plainte de la victime, de son représentant légal ou de ses ayants droit (C. pén., art. 226-6).
L'auteur de la publication a rapidement été identifié comme étant un artiste militant russe, dont l'interpellation s'est déroulée sur la voie publique, devant l'objectif indiscret d'un paparazzi bien informé. Révélé en couverture d'un célèbre hebdomadaire, l'un de ces clichés a exposé le suspect, menotté au sol, sous les yeux impassibles de sa compagne. Également incriminée, cette dernière aurait été destinataire des vidéos grivoises que lui aurait volontairement adressées l'homme politique, avant de fréquenter le sulfureux activiste. Largement médiatisée, l'affaire a défrayé la chronique pendant de longues semaines, certains médias allant même jusqu'à révéler des informations pourtant couvertes par le secret de l'enquête.
Finalement mise en examen, la compagne de l'activiste a présenté une requête en annulation d'actes de la procédure, rejetée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris. Son pourvoi ayant été déclaré immédiatement recevable, l'intéressée a articulé deux moyens de cassation devant la chambre criminelle : d'une part, était soutenu que plusieurs actes d'enquête encouraient l'annulation pour avoir été effectués en violation du secret de l'enquête ; d'autre part, était affirmé que la jeune femme n'avait pas été assistée par l'avocat de son choix au cours de sa mesure de garde à vue.
Pour ce qui concerne le premier moyen, les juges du fond avaient considéré qu'il n'était pas démontré que la présence d'un photographe sur le lieu de l'interpellation ait été consécutive à une violation du secret de l'enquête, ajoutant que les éléments divulgués par la presse l'avaient été postérieurement à l'accomplissement desdites investigations.
La Cour de cassation a validé ce raisonnement après avoir énoncé : d'une part, que la seule présence de tiers lors d'une interpellation sur la voie publique ne suffit pas à caractériser la violation du secret de l'instruction par les fonctionnaires de police ; d'autre part, que la publication d'actes de procédure, postérieurement à leur réalisation, ne permet pas d'établir qu'ils aient été effectués en violation du secret de l'instruction.
Pour rappel, « la Cour de cassation effectue une distinction entre les violations du secret de l'enquête ou de l'instruction, postérieures aux actes concernés, et les violations concomitantes. S'agissant des premières, la validité de la procédure ne saurait être remise en cause. S'agissant des secondes, l'acte peut être annulé […] » (AJ pénal 2017. 140, obs. J.-B. Thierry ; v. égal. F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 4e éd., Economica, n° 1519).
Ce principe a connu une application jurisprudentielle florissante ces dernières années, notamment pour ce qui concerne les opérations de perquisition menées en présence de tiers qui, ayant obtenu d'une autorité publique une autorisation à cette fin, en capte le déroulement par le son ou l'image : une telle situation, qui viole le secret de l'enquête ou de l'instruction, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne (Crim. 9 janv. 2019, n° 17-84.026, Dalloz actualité, 18 janv. 2019, obs. S. Fucini ; D. 2019. 74 ; AJ pénal 2019. 144, note A. Dejean de la Bâtie ; Légipresse 2019. 90, obs. E. Derieux ; 10 janv. 2017, n° 16-84.740, Dalloz actualité, 30 janv. 2017, obs. S. Fucini ; D. 2017. 113 ; ibid. 1676, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2017. 140, obs. J.-B. Thierry ; Légipresse 2017. 72 et les obs. ; ibid. 81, Étude E. Dreyer ; RSC 2017. 334, obs. F. Cordier ).
En revanche, l'interpellation ayant ici été réalisée dans l'espace public, la captation par un tiers ne suffisait pas, à elle seule, à établir une violation du secret – ce qui paraît aisément compréhensible, sauf à faire peser un aléa procédural majeur sur les actes d'investigation publiquement réalisés.
Pour autant, il n'est pas inutile de signaler que les révélations faites par voie de presse dans cette affaire avaient déterminé le ministère public à ouvrir une enquête préliminaire des chefs de violation du secret professionnel, recel de violation du secret professionnel et diffusion non autorisée d'images d'une personne entravée, des suites de laquelle plusieurs mises en examen avaient été rapportées par la presse spécialisée.
Pour ce qui concerne le second moyen, la défense se plaignait de ce que la désignation d'un avocat, faite par le père de l'intéressée au cours de la garde à vue, n'ait pas été suivie d'effet, nonobstant l'intervention effective d'un autre conseil. Pour rejeter l'argument, la chambre de l'instruction avait estimé que le père était irrecevable à désigner un avocat dans la mesure où il n'avait pas été personnellement avisé de la mesure coercitive.
À ce stade, il faut préciser que toute personne placée en garde à vue peut faire prévenir une personne avec laquelle elle vit habituellement, ou l'un de ses parents en ligne directe, ou l'un de ses frères et sœurs (C. pr. pén., art. 63-2) : le proche ainsi averti peut préconiser l'intervention d'un avocat, dont la désignation doit être confirmée par la personne suspectée (C. pr. pén., art. 63-3-1).
Au cas de l'espèce, la jeune femme avait demandé à faire avertir sa mère – et non son père, de la mesure prise à son égard. Adoptant une lecture restrictive des dispositions susmentionnées, la Cour de cassation a entériné l'analyse de la chambre de l'instruction : seule la personne informée en application de l'article 63-2 du code de procédure pénale, à l'exclusion des autres qui y sont mentionnées, peut désigner un avocat pour assister le suspect. Respectueuse de la lettre du texte, cette interprétation est également conforme, selon la chambre criminelle, aux travaux parlementaires relatifs à la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, en permettant de garantir l'existence d'une relation de confiance avec le tiers préconisant l'intervention d'un avocat.
D'aucuns verront peut-être ici une sévérité excessive : on peut aisément comprendre que celui des parents avisés puisse s'en remettre – pour de multiples raisons (entre autres : de disponibilité, d'entregent, de tempérament), à son conjoint pour procéder à la désignation. Dès lors que la loi n'impose pas même que la personne avisée soit informée de la possibilité́ de désigner elle-même un conseil, l'effectivité de ce droit pourrait alors paraître particulièrement « théorique » (v. not. circ. du 23 mai 2011 relative à l'application des dispositions relatives à la garde à vue de la loi n° 2011-392 du 14 avr. 2011 relative à la garde à vue).
En tout état de cause, les praticiens sont avertis : il appartiendra donc à l'avocat de contrôler rigoureusement les conditions dans lesquelles son mandat lui a été confié afin d'être certain de pouvoir demander à intervenir utilement.
Par Hugues Diaz
Crim. 19 oct. 2021, F-B, n° 21-81.569
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