Demande d'infirmation dans le dispositif des conclusions : pas d'inventaire à la Prévert !

L'appelant, qui poursuit la réformation du jugement dont appel, doit, dans le dispositif de ses conclusions, d'une part, mentionner qu'il demande l'infirmation du jugement et, d'autre part, formuler une ou des prétentions. En revanche, il n'est pas exigé qu'il précise, dans le dispositif, les chefs de dispositif du jugement dont il est demandé l'infirmation. C'est donc à tort que la cour d'appel a considéré n'être saisie d'aucunes prétentions, alors que l'appelant avait indiqué, dans le dispositif de ses conclusions, qu'il demandait à la cour d'« infirmer la décision dont appel sur les chefs du dispositif critiqués » et qu'il formulait par ailleurs des prétentions.

Le 22 mars 2018, une partie condamnée en première instance fait appel d'un jugement rendu le 7 mars 2018 par le tribunal de commerce de Pontoise.
Alors que le moyen ne semble pas avoir été soulevé par l'intimé, la cour d'appel de Versailles a d'office – et semble-t-il sans au demeurant avoir provoqué les explications des parties – retenu que la demande d'infirmation contenue dans le dispositif des conclusions de l'appelant était insuffisante pour saisir la cour d'appel, de sorte qu'elle n'avait pas à se prononcer sur les prétentions formulées par l'appelant. Par conséquent, la cour d'appel a confirmé le jugement.

Sur pourvoi, l'arrêt est opportunément cassé.

L'arrêt du « 17 septembre 2020 », texte fondateur

Par un arrêt fondateur du 17 septembre 2020, rendu au visa des articles 542 et 954 du code de procédure civile, la Cour de cassation a mis à la charge des parties appelantes une obligation procédurale consistant à mentionner dans le dispositif des conclusions s'il est demandé l'infirmation ou l'annulation du jugement (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 , note M. Barba ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet ; D. avocats 2020. 448 et les obs. ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal).

L'obligation procédurale, résultant de l'« interprétation nouvelle » de ces dispositions, était fixée.

La jurisprudence ultérieure n'a pas modifié cet arrêt, qui demeure celui qui fixe la charge procédurale.

Mais la Cour de cassation a précisé la portée de cette interprétation nouvelle, qui ne concerne que les appels formés à compter du 17 septembre 2020 (Civ. 2e, 20 mai 2021, nos 19-22.316 et 20-13.210, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1217 , note M. Barba ; AJ fam. 2021. 317, édito. V. Avena-Robardet ; ibid. 381, édito. V. Avena-Robardet ), le champ d'application à tous les appelants, qu'ils soient principaux ou incident (Civ. 2e, 1er juill. 2021, n° 20-10.694, Dalloz actualité, 23 juill. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1337 ; AJ fam. 2021. 505, obs. J. Casey ), et la sanction, qui est la confirmation ou la caducité de la déclaration d'appel (Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 20-15.757, Dalloz actualité, 18 nov. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 96 , note M. Barba ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. F. Kieffer, Rudy Laher et O. Salati ).

Cette construction jurisprudentielle est quasi achevée, même s'il reste à savoir si, concernant l'intimé appelant incident, l'appelant a la possibilité de se prévaloir d'une irrecevabilité de l'appel incident en application de l'article 909 (Procédures d'appel, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 23.95, p. 152), ce qui devrait être le cas dès lors que l'appelant se voit opposer une caducité. Nous attendons aussi confirmation que la régularisation n'est pas possible passé le délai pour conclure (Procédures d'appel, op., cit., p. 152).

Le couac procédural

Mais un pavé a été jeté dans la marre, le 30 septembre 2021, par un arrêt laissant entendre que l'appelant devait, dans le dispositif de ses conclusions, réitérer les chefs du jugement qu'il entendait critiquer (Civ. 2e, 30 sept. 2021, n° 20-16.746 NP).

Nous pensons que cet arrêt, non publié, résulte d'une maladresse de rédaction, sans que la Cour de cassation ait eu à l'esprit de mettre une charge procédurale supplémentaire sur le dos des parties appelantes.

D'ailleurs, pour s'en convaincre, il faut préciser que l'arrêt commence de cette manière : « Il résulte de la combinaison des articles 562 et 954, alinéa 3, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que la partie qui entend voir infirmer des chefs du jugement critiqué doit formuler des prétentions en ce sens dans le dispositif de ses conclusions d'appel ». Il n'y est pas question de chefs du jugement, mais bien d'une demande d'infirmation dans le dispositif, reprenant ce faisant l'arrêt du 17 septembre 2020.

Au surplus, dans l'arrêt du 30 septembre 2021, la Cour de cassation écarte la jurisprudence dite du 17 septembre 2020, ce qui démontre que cet arrêt ne s'inscrit pas à la suite de cette jurisprudence, mais concerne la jurisprudence relative à l'absence de prétentions dans le dispositif.

Il suffit du reste de lire l'arrêt de la cour d'appel (Caen, 1re ch. civ., 19 mai 2020, n° 19/02393) pour comprendre que le problème était l'absence de prétentions dans le dispositif, l'appelant se contentant de « surseoir », « constater », « dire », sans formuler la moindre prétention. Même si l'appelant n'avait pas listé les chefs critiqués, là n'était pas le problème. La difficulté à laquelle se heurtait l'appelant, ce qui aurait dû lui valoir une caducité, était que ses conclusions ne déterminaient pas l'objet du litige.

Mais le mal était fait ! La faute à une lecture trop rapide, sans réflexion, des avocats se sont emparés de cet arrêt pour lui faire dire que la caducité est encourue si l'appelant ne liste pas, dans le dispositif de ses conclusions, après la demande d'infirmation, les chefs dont il demande l'infirmation.

L'inquiétude a gagné les cabinets, de sorte que les avocats, dont la seule évocation du mot « appel » fait surgir une montée de stress, ont modifié leur dispositif de conclusions pour l'alourdir de la mention des chefs critiqués.

Tout cela est-il bien raisonnable ?

Nous savions qu'il existait une difficulté et avions balayé cette pratique, en soulignant sa dangerosité (Procédures d'appel, op. cit., p. 150 : « Un arrêt, au demeurant non publié, laisse à penser que l'appelant doit impérativement mentionner les chefs critiqués dans le dispositif des conclusions. Mais il suffit de demander l'infirmation, sans obligation de mentionner les chefs du dispositif dont il est demandé l'infirmation. La formule “Infirmer le jugement en toutes ses dispositions” est donc suffisante. D'ailleurs, il peut être dangereux de mentionner les chefs dans le dispositif, car, en cas d'oubli, la cour d'appel ne serait pas saisie du chef dont il n'est pas demandé l'infirmation. »).

Il aurait été étonnant que la Cour de cassation, sournoisement, crée une obligation procédurale aussi lourde de conséquence par un arrêt qui n'aurait pas eu droit à une publication. Cela est impensable.

Surtout, l'arrêt du 17 septembre 2020 se suffit à lui-même pour déterminer la charge procédurale. C'est lui et lui-seul qui fixe les règles, les arrêts ultérieurs ne venant que préciser les modalités d'application de cette obligation.

Et dans l'arrêt du 17 septembre 2020, il n'est pas question de faire suivre la demande d'infirmation des chefs critiqués, qui au demeurant sont déjà précisés dans les conclusions, ainsi que dans l'acte d'appel. Les mentionner en outre dans le dispositif relèverait de l'obsession.

Nous attendions donc que la Cour de cassation ait l'occasion de revenir sur ce qui pourrait être qualifié d'erreur de rédaction.

Heureusement, l'occasion s'est rapidement présentée et tout peut rentrer dans l'ordre, même si, par expérience, nous savons que le pli a été pris et qu'il existe un effet d'inertie procédurale. C'est cette inertie procédurale qui, par exemple, a maintenu la pratique consistant à joindre un bordereau à la déclaration d'appel, bien après le 1er janvier 2021.

Un revirement ? Que nenni !

La cour d'appel de Versailles, avait quant à elle considéré n'être pas régulièrement « saisie d'une demande d'infirmation de dispositions du jugement clairement identifiées par les dernières conclusions » (Versailles, 4e ch., 18 mai 2020, n° 18/02006).

Le 3 mars 2022, l'arrêt est cassé au visa de l'article 954, la Cour de cassation précisant que « l'appelante, dans le dispositif de ses conclusions […] n'était pas tenue de reprendre […] les chefs de dispositif du jugement dont elle demandait l'infirmation ».

L'arrêt ne pouvait être plus clair.

Ce faisant, pour les motifs exposés supra, il ne s'agit pas d'un revirement de jurisprudence.

La Cour de cassation a profité de l'occasion qui lui était donné de rectifier son précédent arrêt.

Si cet arrêt ne vise pas l'article 542, qui constitue l'un des piliers, à côté de l'article 954, pour bâtir l'interprétation nouvelle de l'arrêt du 17 septembre 2020, il s'appliquera évidemment à ce courant jurisprudentiel.

Le visa de ce seul article est opportun, puisque c'est bien cette disposition qui précise quel est le contenu des conclusions, et la forme qu'elles prennent. Cette disposition prévoit que les chefs expressément critiqués sont mentionnées, mais pas dans le dispositif, de sorte que ce serait ajouter au texte que d'ériger une telle exigence.

Il en résulte que pour les appels formés à compter du 17 septembre 2020, il suffit à l'appelant, principal ou incident, de demander, dans le dispositif de ses conclusions, « l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions ». Et si l'appelant ne demande l'infirmation que de certains chefs, la formule « infirmer le jugement » sera suffisante.

Pour autant, l'appelant pourra, s'il le souhaite, préciser les chefs concernés par la réformation : « infirmer le jugement en ce qu'il […] ».

Mais il ne s'agira pas d'une obligation.

De là à conseiller de procéder de cette manière, nous nous en garderons bien.

Il peut arriver que l'appelant omette de mentionner un chef.

Et c'est alors que l'appelant peut être mis en difficulté, puisque l'intimé pourrait opportunément soutenir que l'appelant a limité la dévolution par ses conclusions, et qu'il ne poursuit l'infirmation du chef omis.

En faire trop risque donc de se retourner contre l'appelant.

Pour l'appelant, nous avons vu que les chefs critiqués sont déjà mentionnés dans l'acte d'appel et, en principe, dans les conclusions, même si en pratique toutes les conclusions ne reprennent pas cette indication, dont l'absence n'est au demeurant pas sanctionnée par l'article 954.

Mais pour l'intimé appelant incident, il n'existe pas d'équivalence, puisque son appel incident est formé par conclusions, non par une déclaration d'appel. Il serait opportun que l'intimé prenne l'habitude, avant la partie discussion, de préciser les chefs qu'il critique expressément.

Fin de la partie ?

L'appelant pourra saisir la cour de renvoi, et devrait pouvoir faire valoir les prétentions… sauf que, comme pour les trains, un moyen de procédure peut en cacher un autre.

On lit dans l'arrêt d'appel que « la déclaration d'appel de la société Bonnevie et Fils indique que “les chefs du jugement expressément critiqués sont reportés sur une annexe jointe faisant partie intégrante de la déclaration d'appel”. L'annexe de la déclaration d'appel mentionne solliciter l'infirmation du jugement sur deux dispositions », ce qui nécessairement fait écho avec les arrêts du 5 décembre 2019 (Civ. 2e, 5 déc. 2019, n° 18-17.867, Dalloz actualité, 13 janv. 2020, obs. C. Lhermitte ; D. 2019. 2421 ; ibid. 2020. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; AJ fam. 2020. 130, obs. S. Thouret ; JCP n° 5, 3 févr. 2020, obs. R. Laffly) et 13 janvier 2022 (Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.516, Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 325 , note M. Barba ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D'Ambra ).

Et on se dit que l'appelant passe de Charybde en Scylla et qu'il n'y a rien de plus désagréable que de sortir d'un bourbier pour y replonger derechef.

 

Par Christophe Lhermitte

Civ. 2e, 3 mars 2022, F-B, n° 20-20.017

© Lefebvre Dalloz