Déclaration d'appel et chefs de jugement critiqués, le choix des armes

Si l'acte d'appel mentionne que l'appel est « total » et qu'aucune régularisation n'intervient dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond, la cour d'appel ne peut que constater que cette déclaration d'appel est dépourvue d'effet dévolutif à l'égard de l'ensemble des intimés quand bien même le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d'annulation fondée sur l'absence de mention des chefs de jugement critiqués faute de grief causé aux intimés.

En avoir ou pas

Face à une déclaration d'appel qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués, le choix de l'arme procédurale a été laissé à l'intimé. Par la Cour de cassation elle-même. Selon les velléités belliqueuses qui l'animeront – ou ses connaissances procédurales –, l'intimé aura, entre ses mains, un pistolet à eau ou un lance-flammes. La nullité ou l'absence d'effet dévolutif.

Dans une procédure dans laquelle un jugement avait déclaré irrecevable comme prescrite son action en responsabilité contre un mandataire liquidateur, l'appelant avait vu le conseiller de la mise en état écarter l'exception de nullité de l'acte d'appel soulevée par les intimés. L'ordonnance estimait que le défaut de mention des chefs de jugement critiqués sur la déclaration d'appel n'engendrait aucun grief. Devant la cour cette fois, l'un des intimés s'est emparé, pour les mêmes raisons, de l'absence d'effet dévolutif de cet appel « total » et la cour d'appel de Paris a estimé qu'elle n'était effectivement saisie d'aucune demande. L'appelant, demandeur au pourvoi, reprochait à la cour d'avoir statué ainsi alors que si le conseiller de la mise en état avait jugé qu'il n'y avait pas de grief, « le chef de dispositif que l'appelant a entendu remettre en cause étant aisément identifiable », « la cour devait être regardée comme saisie de l'effet dévolutif de l'appel ». La deuxième chambre civile rejette le pourvoi et apporte la solution suivante :

4. Selon l'article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

5. En outre, seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.

6. Il en résulte que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d'appel fondée sur ce même grief aurait été rejetée.

7. En application des articles L. 311-1 du code de l'organisation judiciaire et 542 du code de procédure civile, seule la cour d'appel, dans sa formation collégiale, a le pouvoir de statuer sur l'absence d'effet dévolutif, à l'exclusion du conseiller de la mise en état dont les pouvoirs sont strictement définis à l'article 914 du code de procédure civile.

8. Ayant relevé que la déclaration d'appel mentionnait au titre de l'objet/portée de l'appel un « appel total » et ne visait aucun chef de jugement critiqué et qu'aucune régularisation de la déclaration d'appel n'était intervenue dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond, la cour d‘appel, qui ne pouvait que constater que cette déclaration d'appel était dépourvue d'effet dévolutif, quand bien même le conseiller de la mise en état avait rejeté la demande d'annulation de cette déclaration d'appel fondée sur l'absence de mention des chefs de jugement critiqués faute de grief causé aux intimés, en a exactement déduit qu'elle n'était saisie d'aucune demande, l'absence d'effet dévolutif opérant pour l'ensemble des intimés.

L'adieu aux armes

Répondant à trois demandes d'avis, mais à cela seulement, la Cour de cassation a précisé dans un premier temps que l'acte d'appel qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués encourt une nullité de forme, régularisable dans le délai imparti à l'appelant pour conclure, et qu'il ne résulte de l'article 562 du code de procédure civile, qui précise que l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, aucune fin de non-recevoir (Civ. 2e, avis, 20 déc. 2017, nos 17019, 17020 et 17021, Dalloz actualité, 12 janv. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 18 ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean ). C'était l'appréciation littérale et logique de l'article 901 du code de procédure civile, et la réponse aussi à la question posée, celle de la sanction encourue entre la nullité et la fin de non-recevoir. Ainsi, s'il se place sur le terrain de la nullité, l'intimé doit démontrer le grief que lui cause cette déclaration d'appel qui omettrait un chef, plusieurs chefs ou la totalité des chefs de jugement critiqués, ce qui semble aussitôt compromis, puisqu'à la lecture des conclusions de l'appelant, il comprendra la critique effectivement portée. Rappelons-le, l'appelant doit aussi énoncer ces chefs de jugement critiqués dans ses écritures par application de l'article 954 du même code. Et si l'appelant peut toujours poursuivre un but inavoué ou inavouable, l'intimé a généralement une petite idée de la source de mécontentement de son adversaire… Sans compter encore la possibilité de régularisation offerte à l'appelant, dans son délai pour conclure, au moyen d'une nouvelle déclaration d'appel précisant cette fois les chefs de jugement qu'il critique. Bref, la pratique enseigne que l'exception de procédure est restée exceptionnelle. La sanction ne faisait peur à personne et, immanquablement, ratait son but, but qui lui était avoué et revendiqué par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, soucieux d'amener les parties vers une voie d'achèvement maîtrisée, dès l'ouverture des hostilités, par l'indication d'une critique de la décision du premier juge. Mais la formulation de ces trois avis laissait pressentir que si les avocats avaient pu baisser la garde, la Cour de cassation n'avait, elle, pas baissé les armes.

L'arme fatale

Il suffit de patienter deux ans pour passer de l'avis à l'arrêt qui devait dégager l'autre voie, celle de l'absence d'effet dévolutif d'une déclaration d'appel visant en objet un appel « total ». La sanction était d'autant plus prévisible que la cour d'appel de Paris (mais Paris n'est pas toujours une fête) s'était, à plusieurs reprises, départie de la sanction de nullité pour retenir celle de l'absence d'effet dévolutif et que la Cour de cassation avait déjà consacré la primauté de l'acte d'appel sur les conclusions pour les appels antérieurs au décret du 6 mai 2017 (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-25.799, Dalloz actualité, 19 oct. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 1919 ). De là à dire qu'avec l'obligation de mentionner les chefs de jugement critiqués sur l'acte d'appel leur absence conduisait, sans égard aux conclusions de l'appelant, à l'absence d'effet dévolutif, il n'y avait qu'un pas. Qui fut donc franchi en formation de section le 30 janvier 2020. Aussi, sauf lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs du jugement critiqués. Et en l'absence de rectification par une nouvelle déclaration d'appel dans le délai de trois mois imparti à l'appelant pour conclure, l'appel « total » n'emporte pas la critique de l'intégralité des chefs du jugement et ne peut être régularisé par des conclusions notifiées au fond, de sorte que la cour d'appel n'a pas à confirmer ou non le jugement, mais uniquement à constater qu'elle n'est pas saisie (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol ; Procédures, n° 4, avr. 2020, obs. H. Croze). Deux nouveaux clous au cercueil étaient ensuite plantés et enterraient définitivement tout angélisme : la cour d'appel, qui constate que la déclaration d'appel se borne à solliciter la réformation et/ou l'annulation en énumérant l'énoncé des demandes formulées devant le premier juge en déduit, à bon droit, sans dénaturer la déclaration d'appel et sans méconnaître les dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'elle n'est saisie d'aucun chef du dispositif du jugement (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-16.954, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero ; Procédures 2020. Comm. 163, obs. S. Amrani Mekki), tandis que sans possible référence aux conclusions de l'appelant, il résulte de l'article 562 du code de procédure civile, qui définit le contour de l'effet dévolutif de l'appel, qu'en l'absence d'énonciation expresse des chefs de jugement critiqués dans la déclaration d'appel qui sollicite seulement la réformation, la cour d'appel n'est saisie d'aucun litige et n'a pas à confirmer la décision attaquée (Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-12.037, Dalloz actualité, 26 avr. 2021, obs. R. Laffly ; Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, A.-I. Gregori, E. Jullien, F. Kieffer, A. Provansal et C. Simon ).

Il manquait donc un quatrième clou pour sceller le sort de l'effet dévolutif ; le voici donc avec l'arrêt du 19 mai 2022 qui précise que quand bien même le conseiller de la mise en état a écarté toute nullité de la déclaration d'appel pour défaut de mention des chefs de jugement critiqués faute de grief causé aux intimés, l'absence d'effet dévolutif pouvait tout de même être poursuivie devant la cour d'appel. La solution est d'autant plus logique que les sanctions s'apprécient distinctement, l'absence d'effet dévolutif étant indépendante bien sûr de toute notion de grief. Dit autrement, peu importe que l'intimé ait parfaitement compris, à la lecture des conclusions de l'appelant, les chefs de jugement critiqués, leur absence dans un acte d'appel qui seul fonde l'effet dévolutif prive la cour de la possibilité de statuer. La deuxième chambre civile le martèle encore et encore : « seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement ». On le savait déjà. Ou on le saura.

Pour qui sonne le glas

Pour le demandeur au pourvoi, qui avait formé un appel « total » sans mention de chefs de jugement critiqués contre le jugement qui avait déclaré sa demande prescrite, « l'appel portait nécessairement » sur cette seule disposition du dispositif. Et le moyen du pourvoi avançait justement que le chef de dispositif que l'appelant avait entendu remettre en cause était aisément identifiable, comme l'avait relevé le conseiller de la mise en état, dès lors que le dispositif du jugement ne visait qu'une demande prescrite qui ne laissait aucun doute sur les raisons de l'appel. Ce d'autant plus qu'un seul intimé avait persisté devant la cour à soutenir que l'effet dévolutif n'avait pas opéré, preuve encore que tous avaient « compris ». Mais si l'on peut toujours en contester l'utilité, l'indication des chefs de jugement n'est pas tant là pour assurer la compréhension par les parties des critiques qu'elles formulent à l'encontre d'une décision que pour délimiter le champ de l'appel. L'effet dévolutif comporte désormais une distorsion entre son acception générale issue de l'article 561 du code de procédure civil, qui dispose que l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel avec l'acte d'appel qui en délimite les contours sans que le champ de la critique puisse être étendu par voie de conclusions. Alors, si bien sûr l'appel défère à la cour la connaissance, en fait et en droit, d'un litige déjà examiné par une juridiction du premier degré, l'acte d'appel doit, préalablement, être exempt de reproche. Il n'est ni le lieu des demandes ni celui des explications ou des motivations de l'appelant (ce temps viendra avec les conclusions), mais celui de l'étendue de la saisine de la cour d'appel au regard du dispositif de la décision attaquée. Les conséquences vaudront pour tous et ne bénéficieront pas seulement à l'intimé qui aura déclenché les hostilités. Au cas présent, les demandeurs au pourvoi reprochaient à la cour de ne pas avoir considéré qu'un seul des intimés s'était prévalu de l'absence d'effet dévolutif. Mais l'acte d'appel, sans la moindre mention des chefs de jugement critiqués, prive bien sûr la cour de son pouvoir de statuer à l'égard de tous. Ce n'est pas le sujet d'une caducité ou d'une irrecevabilité partielle qui se pose ici, c'est celui d'une impossibilité de statuer au regard d'un acte d'appel défaillant, qui n'opère aucune dévolution. Des appelants aux intimés, les dommages collatéraux, ou bienfaits, c'est selon, toucheront donc l'ensemble des parties à l'appel.

Qui sonne le glas ?

Le dernier apport de l'arrêt est sans doute d'affirmer, pour la première fois aussi nettement, que seule la cour d'appel a le pouvoir de se prononcer sur l'absence d'effet dévolutif. Au visa des articles L. 311-1 du code de l'organisation judiciaire et 542 du code de procédure civile, la Cour de cassation le dit : « seule la cour d'appel, dans sa formation collégiale, a le pouvoir de statuer sur l'absence d'effet dévolutif, à l'exclusion du conseiller de la mise en état dont les pouvoirs sont strictement définis à l'article 914 du code de procédure civile ».

Très rarement cité, le rappel de l'article L. 311-1 est de bon aloi : « La cour d'appel connaît, sous réserve des compétences attribuées à d'autres juridictions, des décisions judiciaires, civiles et pénales, rendues en premier ressort. La cour d'appel statue souverainement sur le fond des affaires ». Qui d'autre que la cour pouvait estimer qu'elle n'avait pas à statuer ? Modifié par le décret du 6 mai 2017, l'article 542 a, lui, déjà obtenu, à de nombreuses reprises, les honneurs des arrêts publiés : « L'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel », tandis que l'article 562 met en lumière la cour, puisqu'il dispose de manière explicite que « l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ».

De ces visas, on tirera comme conséquence que dès lors que l'effet dévolutif est en question, le pouvoir juridictionnel penche non pas du côté du conseiller de la mise en état, dont les pouvoirs sont strictement définis à l'article 914, comme aime maintenant à le rappeler la deuxième chambre civile, mais bien de la cour statuant au fond. C'est notamment cette même conception de l'effet dévolutif qui la guida pour rendre son avis sur les fins de non-recevoir et la compétence partagée entre la cour et le conseiller de la mise en état (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006 P, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; ibid., 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; M. Barba, Qui connaît de la recevabilité des demandes nouvelles ?, Dalloz actualité, 13 mai 2022 ; D. 2021. 1139 ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero ). L'effet dévolutif est bien la chasse gardée de la cour d'appel. La solution était en filigrane avec l'arrêt du 30 janvier 2020 que nous qualifions de « bombe à retardement ». Soit que l'intimé a déjà conclu à l'absence d'effet dévolutif, soit que la cour relève le moyen d'office, les effets dévastateurs de la déflagration, en germe dans la déclaration d'appel, ne se feront sentir qu'une fois connu l'arrêt au fond. Alors bien sûr, d'aucuns regretteront que la solution ne soit pas plus vite dégagée par un conseiller de la mise en état que l'on ne sait que trop omnipotent et omniscient, mais l'on se réjouira que le code de procédure civile (et dans son sillage, la Cour de cassation) continue à envisager la question de l'effet dévolutif à l'aune des seuls pouvoirs de la cour. Même si la réponse est parfois simple, la cause est noble, et lorsque l'on discute de l'effet dévolutif, on ne touche pas le fond, on touche au fond.

 

Par Romain Laffly

Civ. 2e, 19 mai 2022, F-B, n° 21-10.685.

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