De l'utilisation stratégique de la subrogation personnelle en matière de cautionnement

Dans un arrêt en date du 9 mars 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler qu'une banque ayant été réglée par une caution avant la résolution du contrat de prêt garanti n'a plus d'intérêt à agir en restitution du capital prêté au titre des conséquences de la résolution.

La question des recours de la caution est fondamentale pour ce garant personnel qui accepte de payer la dette d'autrui (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 202, n° 208). On sait que l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a supprimé la catégorie discutable et désuète des recours avant paiement (J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, Dalloz actualité, 21 sept. 2021 ; L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, 15e éd., LGDJ, Droit civil, 2021, p. 88, n° 80). Les recours après paiement occupent alors une place désormais unique pour assurer le remboursement de la caution après désintéressement du créancier.

Cette question de pure contribution à la dette est d'autant plus essentielle qu'au stade du passif définitif, la caution ne doit rien là où un codébiteur solidaire aurait une part contributive qui viendrait diminuer l'assiette du remboursement exigible aux autres débiteurs. La possibilité de se retourner contre le débiteur principal reste donc cruciale pour la caution qui n'est pas liée au créancier dans le rapport de droit fondamental entre le débiteur et ce dernier. La caution personnelle dispose donc, pour ce faire, de deux actions : la première est personnelle tandis que la seconde lui permet de revêtir les habits juridiques du créancier à travers ce que l'on appelle la subrogation personnelle. Ce mécanisme essentiel du régime général de l'obligation implique que la créance n'est pas éteinte par le paiement du solvens mais lui est transmise. Ainsi le point de départ de l'action du subrogé est identique à celui du créancier originaire, question que nous avons eu l'occasion d'étudier il y a un peu plus d'un mois dans ces colonnes (Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 20-10.855, Dalloz actualité, 11 févr. 2022, obs. C. Hélaine).

L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 mars 2022 nous donne une très bonne illustration de l'usage raffiné de la subrogation personnelle et des difficultés que posent une telle technique, notamment sur l'intensité de ce recours après une résolution du contrat cautionné. Rappelons les faits brièvement : un établissement bancaire consent à deux personnes physiques un prêt de 128 808,55 € garanti par une caution professionnelle. Le but de l'opération est l'acquisition d'un bien immobilier en l'état futur d'achèvement. La vente est-elle-même contre-garantie par une garantie d'achèvement. Les acquéreurs invoquent un non-respect des délais et assignent le vendeur, la banque et le garant en résolution de la vente en l'état futur d'achèvement et du contrat de prêt. Le vendeur est placé en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire si bien que le mandataire de la procédure est assigné en intervention forcée. La résolution de la vente et du prêt sont prononcés judiciairement en première instance. En appel, le contentieux se noue précisément autour d'une demande de condamnation solidaire des acquéreurs formulée par la banque au titre de l'obligation de restitution du capital prêté. Ces derniers ne souhaitaient pas restituer le capital en arguant que la caution professionnelle avait réglé une somme de 141 180,45 € si bien que la banque n'avait plus intérêt à agir contre les débiteurs principaux au titre de la résolution. La cour d'appel de Pau fait droit à la demande de la banque et condamne donc les acquéreurs à payer solidairement cette somme en dépit du règlement par la caution au titre du remboursement du prêt. C'est dans ce contexte que les acquéreurs se pourvoient en cassation en menant un raisonnement purement et simplement centré autour de la subrogation personnelle : puisque la caution avait payé, la banque ne pouvait pas leur demander la restitution du capital prêté.

L'arrêt d'appel est cassé pour violation de la loi dans l'arrêt rendu le 9 mars 2021 par la première chambre civile de la Cour de cassation. Le paragraphe n° 7 est ainsi rédigé : « la caution, qui a payé la banque, est subrogée à tous ses droits et que celle-ci n'a plus intérêt à solliciter de l'emprunteur la restitution du capital prêté par suite de la résolution du prêt affecté, en conséquence de celle du contrat de vente ».

Nous allons voir que cette solution implique une extension de l'effet de la subrogation personnelle et un déplacement de la discussion sur le terrain de la procédure civile.

De l'extension de l'effet de la subrogation personnelle en matière de résolution

La clef de voute de la solution du 9 mars 2022 repose sur un élément fondamental : la caution professionnelle avait payé en 2015 la banque pour une somme totale de 141 180,45 € (le solde restant dû, impayé par les débiteurs principaux). Ainsi, le créancier a délivré au garant professionnel une quittance subrogatoire le 20 juillet 2015. En définitive, et en l'état de ce paiement subrogatoire, la banque avait été désintéressée par la caution et cette dernière était devenue créancière au titre de son recours fondée sur l'article 2306 ancien du code civil. Sur ce point, la discussion ne pose aucune difficulté, il n'y a là qu'application des règles classiques en la matière. Si l'arrêt est original, c'est en raison de la résolution qui a été prononcée postérieurement.

La difficulté repose, encore plus précisément, sur les effets de la résolution (sur cette question pour le contrat de prêt, P. Delebecque et F. Collart-Dutilleul, Contrats civils et commerciaux, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, p. 876 s., n° 862). Puisqu'il fallait restituer le capital emprunté, la banque s'était donc retournée contre les débiteurs principaux pour en obtenir paiement en ne prenant pas en compte le règlement par la caution professionnelle de la somme due. La défense opposée par l'établissement bancaire avait, en tout état de cause, du sens : il fallait selon elle distinguer la période avant la résolution et la période après la résolution. Lorsque cette dernière intervient, il résulte de son effet rétroactif (puisque nous sommes avant l'ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016, du moins) que le retour au statu quo ante supposait de faire comme si la caution n'avait pas payé, en somme.

C'est précisément ce raisonnement qui est condamné. La première chambre civile opère une extension – assez originale selon nous – de la subrogation personnelle. Dès lors que la caution paie, elle est subrogée dans les droits de l'établissement bancaire et ce n'est plus ce dernier qui a intérêt à agir en restitution du capital prêté. La solution ne vient-elle donc pas dévoyer l'effet rétroactif attaché à la résolution dans cette espèce ? À notre sens, elle vient, en réalité, en limiter son effet de fiction juridique. Le paiement opéré par la caution a permis de faire transiter la contrainte juridique attachée à l'obligation du patrimoine de la banque vers celui de la caution professionnelle. Par conséquent, l'établissement bancaire ne disposait plus d'aucun moyen pour récupérer le capital prêté puisqu'elle avait été désintéressée par la caution. En somme, on retrouve un ersatz du critère de l'utilité économique des prestations qui ne dit pas réellement son nom ici.

Ne restait plus qu'à en tirer les conséquences : faute d'intérêt à agir, le débiteur principal est fondé à opposer à la banque une fin de non-recevoir.

Du déplacement de terrain de la discussion vers un problème procédural

La transmission de l'obligation actée entre le créancier (la banque) et le tiers solvens (la caution professionnelle), la conséquence procédurale était alors essentielle à énoncer. C'est, encore une fois, le truchement de la résolution qui pose difficulté.

Peut-on opposer une fin de non-recevoir à la banque souhaitant obtenir le remboursement du capital emprunté au titre de l'obligation de restitution consécutive à l'anéantissement – ici rétroactif – de l'acte juridique ? La question est délicate pour les mêmes raisons que la discussion précédente sur le terrain du régime général de l'obligation. Sur ce point procédural précisément,, la situation est bien sévère pour la banque. Dans son paragraphe n° 7 précédemment cité, l'arrêt vient clairement déduire des paragraphes précédents que la banque n'a plus d'intérêt à agir. Celle-ci a été réglée par la caution si bien que le débiteur principal est fondé à lui opposer une fin de non-recevoir tirée de l'article 122 du code de procédure civile. Toute discussion au fond sera donc purement et simplement évité.

Voici, en somme, une utilisation très stratégique de la subrogation personnelle utilisée non par le tiers solvens mais par le débiteur principal à titre incident. La discussion se place sur le terrain procédural pour opposer la fin de non-recevoir qui reste la conséquence des effets de la transmission de créance opérée par la subrogation personnelle. L'amplitude de la subrogation se trouve alors particulièrement puissante, au profit du débiteur qui est censée la subir plutôt que l'utiliser à son profit. Les conseils des établissements bancaires devront alors composer avec cette situation sévère mais respectueuse de ce mode original de transmission des créances, même si le code civil continue – de manière plus ou moins discutable – d'y voir un paiement.

 

Par Cédric Hélaine

Civ. 1re, 9 mars 2022, F-P+B, n° 19-19.392

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