Conseil constitutionnel : la récente sanction du dispositif de sanction des entraves aux contrôles et enquêtes de l'autorité des marchés financiers

Le 28 janvier 2022, le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnel le double régime de sanction administrative et pénale des entraves aux contrôles et enquêtes de l'Autorité des marchés financiers

Le 4 novembre dernier le Conseil constitutionnel était saisi par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits que la Constitution garantit du f du paragraphe II et du c du paragraphe III de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.

Les sociétés requérantes formulaient principalement quatre critiques au sujet de cet article :

• Tout d'abord, elles relevaient que ces dispositions ne définiraient pas précisément le manquement qu'elles répriment et institueraient une sanction manifestement excessive. En conséquence, une telle situation méconnaîtrait l'exigence de légalité des délits et des peines et de proportionnalité des peines.

• Elles contestaient également le cumul possible entre la sanction administrative prévue par le texte et les dispositions pénales consacrées à l'article L. 642-2 du code monétaire et financier en cas d'obstacle à une mission de contrôle ou d'enquête de l'Autorité des marchés financiers.

• Elles soutenaient également que ces dispositions en permettant à l'Autorité des marchés financiers de sanctionner des personnes qui ne sont pas soumises à des obligations qu'elle a pour mission de contrôler, ces dispositions lui octroieraient un pouvoir qui empiéterait sur celui de l'autorité judiciaire, en méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs.

• Elles dénonçaient enfin l'absence de possibilité de s'opposer aux demandes de l'autorité alors même qu'elles conduiraient la personne sollicitée à révéler des éléments relevant de la vie privée ou qu'elles tendraient à obtention d'aveux. Il en résulterait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée et du droit de ne pas s'auto-incriminer.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel opère une distinction entre les griefs tirés de la méconnaissance du principe de nécessités des délits et des peines des autres arguments soulevés.

La méconnaissance du principe de nécessité des délits et des peines

Le Conseil constitutionnel relève dans son considérant 14 s'agissant de la méconnaissance du principe de nécessité des délits et des peines qu'« il découle du principe de nécessité des délits et des peines qu'une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ».

La décision énonce que l'article L. 642-2 du code monétaire et financier punit de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 300 000 € le fait pour toute personne de faire obstacle à une mission de contrôle ou d'enquête de l'Autorité des marchés financiers ou de lui communiquer des renseignements inexacts. Les dispositions de l'article L. 621-15, f, § II, concernant les refus opposés aux demandes des enquêteurs et contrôleurs de l'Autorité des marchés financiers tendent à réprimer les faits qualifiés de manière identique à ceux de l'article L. 642-2.

Ensuite, ces deux articles protègent les mêmes intérêts sociaux à savoir « assurer l'efficacité des investigations conduites par l'Autorité des marchés financiers ». De même, les sanctions à savoir le prononcé d'une peine d'amende ne sont pas de nature différente.

En l'état, la répression administrative du manquement d'entrave aux enquêtes et contrôles de l'Autorité des marchés financiers prévue par l'article L. 621-15, f, § II, du code monétaire et financier, tend à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux que la répression pénale telle que consacrée à l'article L. 642-2 du même code.

Ce faisant, la répression administrative des entraves aux contrôles et enquêtes de l'Autorité des marchés financiers et tout particulièrement les dispositions permettant de poursuivre les refus opposés aux demandes des enquêteurs et contrôleurs de l'Autorité des marchés financiers sont contraires aux exigences constitutionnelles de nécessité des délits et des peines qui découlent de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) et doivent par conséquent être déclarées inconstitutionnelles.

Cette décision s'inscrit dans la droite ligne des décisions EADS qui avaient conduit à la déclaration d'inconstitutionnalité des articles L. 465-1, L. 466-1 et L. 621-15, § II, c) et d), du code monétaire et financier. Ce faisant, le Conseil reprend la grille de lecture qu'il avait dessinée en 2015 en matière de cumul des poursuites pour délit d'initié et des poursuites pour manquement d'initié (Cons. const. 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC, Dalloz actualité, 20 mars 2015, obs. J. Lasserre Capdeville ; AJDA 2015. 1191, étude P. Idoux, S. Nicinski et E. Glaser ; D. 2015. 894, et les obs. , note A.-V. Le Fur et D. Schmidt ; ibid. 874, point de vue O. Décima ; ibid. 1506, obs. C. Mascala ; ibid. 1738, obs. J. Pradel ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal 2015. 172, étude C. Mauro ; ibid. 179, étude J. Bossan ; ibid. 182, étude J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2015. 380, note H. Matsopoulou ; RSC 2015. 374, obs. F. Stasiak ; ibid. 705, obs. B. de Lamy ; RTD com. 2015. 317, obs. N. Rontchevsky ).

À la différence des juridictions européennes, le Conseil constitutionnel ne se fonde pas sur le principe non bis in idem mais développe ses propres critères qu'il puise dans l'exigence de nécessité des délits et des peines.

Sur les autres griefs soulevés par la société Novaxia

Les requérants faisaient valoir d'autres griefs dans le cadre de leur recours.

En ce qui concerne tout d'abord l'argument tiré non-respect du principe de légalité des délits et des peines et de proportionnalité des peines. Le Conseil note dans son considérant 10 que les exigences de légalité des délits et des peines sont respectées par les dispositions querellées. Selon lui, le législateur a défini de façon précise les éléments constitutifs du manquement ainsi que les personnes auxquelles il peut être reproché.

En second lieu, il relève s'agissant du principe de proportionnalité que, « si l'amende peut atteindre cent millions d'euros ou le décuple de l'avantage tiré du manquement, ce montant ne constitue qu'un plafond et doit en application du paragraphe III ter du même article L. 621-15 être modulé, sous le contrôle en fonction de la gravité du manquement, de sa situation financière, des manquements commis précédemment et de toute circonstance propre à la personne en cause ». Selon les sages, les sanctions définies à l'article L. 621-15 du code monétaire et financier n'instituent pas une peine manifestement disproportionnée au regard de la gravité des manquements réprimés.

Ensuite, ils faisaient valoir que ces dispositions seraient contraires à la Constitution en raison du pouvoir de l'Autorité des marchés financiers de sanctionner des personnes qui ne sont pas soumises à des obligations qu'elle a pour mission de contrôler. Pour les requérants, ces dispositions lui octroieraient un pouvoir qui empiéterait sur celui de l'autorité judiciaire, en méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs. Un tel argument avait peu de chance de prospérer compte tenu de la jurisprudence constitutionnelle en la matière (Cons. const. 18 mars 2015, préc.). La décision commentée ne motive pas davantage cette question en retenant qu'il convenait d'écarter les griefs tirés de la violation du principe de la séparation des pouvoirs.

Le Conseil constitutionnel ne motive pas davantage sa décision quant au rejet du grief tiré du principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser. Il est regrettable que des précisions ne soient pas apportées à l'articulation entre le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser dont découle le droit de se taire (lui-même issu de l'article 9 de la DDHC) et la sanction du « refus de communiquer des informations » telle qu'énoncée par l'article L. 621-15 du code monétaire et financier.

De son côté, l'Autorité des marchés financiers a, le 18 février dernier, fait savoir au terme d'un communiqué de presse qu'elle allait proposer des modifications législatives afin de mettre en conformité dès que possible le code monétaire et financier avec la décision du Conseil constitutionnel en mettant un terme à la possibilité d'une double poursuite en matière d'entrave.

 

Par Pauline Dufourq

Cons. const. 28 janv. 2022, n° 2021-965 QPC

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