Comparution en procédure sans représentation obligatoire : c'est la première fois qui compte
En procédure orale, en cas de renvoi de l'audience, la cour d'appel reste saisie des écritures de la partie qui avait comparu à la première audience, même si elle n'est ni comparante ni représentée à l'audience de renvoi. Ainsi, c'est à juste titre que la cour d'appel a confirmé le jugement dont appel, alors que ni l'appelant ni l'intimé n'était comparant à l'audience de renvoi, dès lors que l'intimé avait demandé la confirmation à la première audience.
Dans le cadre d'un litige prud'homal, la salariée fait appel, le 17 mai 2016, d'un jugement rendu le 17 mai 2016 par le conseil de prud'hommes.
L'affaire est appelée à une première audience, le 17 avril 2019, à laquelle seul l'employeur, intimé, comparaît. L'intimé demande alors à la cour d'appel de confirmer le jugement au motif que l'appel n'est pas soutenu.
Un arrêt du 7 août 2019 rouvre les débats avec injonction faite aux parties de conclure et de communiquer les pièces, avec fixation d'une nouvelle audience le 10 décembre 2019.
À l'audience du 10 décembre 2019, l'appelant ne comparaît pas.
La cour d'appel confirme donc le jugement, au motif que l'appelante était ni comparante ni représentée.
La salariée se pourvoit en cassation, reprochant à la cour d'appel d'avoir confirmé le jugement alors que l'employeur n'était pas comparant à l'audience de renvoi du 10 décembre 2019, et qu'il n'a pu, de ce fait, demander la confirmation du jugement pour appel non soutenu.
Le pourvoi est rejeté.
L'état procédural
Cet arrêt nous parle d'un temps que les avocats de moins de cinq ans de barreaux n'ont pas connu.
En effet, jusqu'en 2016, la matière prud'homale, en appel, relevait de la procédure sans représentation obligatoire, avec au surplus des règles de représentation tout à fait spécifique.
L'article R. 1461-2 du code de travail, avant la réforme du 20 mai 2016 (Décr. n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail), prévoyait que « l'appel […] est formé, instruit et jugé suivant la procédure sans représentation obligatoire », ce qui renvoie aux articles 931 et suivants du code de procédure civile.
Et l'article 931 prévoit précisément que « les parties se défendent elles-mêmes », avec la possibilité néanmoins d'être représenté.
L'appel ayant été inscrit avant le 1er août 2016, il relevait donc de la procédure sans représentation obligatoire.
À la première audience, l'appelant n'avait pas comparu, et l'affaire avait été retenue à la demande de l'employeur intimé, comparant, qui invoquait le caractère non soutenu de l'appel.
Toutefois, en cours de délibéré, un avocat s'était manifesté pour la salariée appelante, ce qui avait justifié une réouverture des débats, un calendrier pour conclure et communiquer les pièces, et la fixation d'une nouvelle audience.
Mais, tout comme pour la première évocation, l'appelante était restée chez elle à l'audience de renvoi, et personne ne s'était présenté pour elle.
C'est ainsi que la cour d'appel, en application de l'article 468 du code de procédure civile, a confirmé le jugement, comme l'avait précédemment demandé l'intimé qui, cette fois, n'avait pas comparu.
Et c'est précisément cette absence de comparution, à l'audience de renvoi, que l'appelant invoquait dans le cadre de son pourvoi.
Une comparution suffit
Si, lors de la première audience, l'intimé employeur était comparant, pour demander la confirmation du fait que l'appel n'est pas soutenu, cette partie n'avait en revanche pas comparu à l'audience de renvoi.
Pour l'appelant, qui n'avait pas davantage comparu, cette non-comparution ne permettait pas à la cour d'appel de faire droit à l'argument de l'intimé.
Cela ne convainc pas la Cour de cassation.
À la première audience, l'intimé avait remis et soutenu oralement des conclusions par lesquelles était demandée la confirmation du jugement prud'homal. Le texte n'est pas visé, mais rappelons que l'article 446-1, en procédure orale, prévoit que la partie peut se référer aux prétentions et moyens formulés par écrit.
En application de l'article 468 du code de procédure civile, l'intimé pouvait tout à fait « requérir un jugement sur le fond », et donc demander la confirmation du jugement.
Soulignons que l'intimé avait aussi la possibilité de se prévaloir de la caducité de la déclaration d'appel, en application du même article 468. Mais alors l'appelant disposait d'une seconde chance, lui permettant de voir rapportée la caducité s'il justifie d'un motif légitime pour n'avoir pas comparu. La demande de confirmation pour appel non soutenu semblait donc être la meilleure option pour l'intimé.
Toutefois, la cour d'appel s'est montrée sensible à l'argument de dernière heure de l'appelant, et a renvoyé à une audience ultérieure dans la mesure où un avocat s'était manifesté, lequel avocat avait cependant été omis du barreau et était empêché d'exercer.
Et, lors de l'audience de renvoi, l'intimé n'avait pas comparu et n'avait pas demandé à en être dispensé dans les conditions de l'article 946 du code de procédure civile.
Peu importe, nous précise la Cour de cassation.
Les deux audiences forment un tout, en quelque sorte, et il suffit que la partie ait comparu la première fois pour la dispenser d'une comparution à l'audience de renvoi.
Et cela, le texte ne le prévoit pas.
Si la procédure avec représentation obligatoire devient de plus en plus compliquée, force est de constater que la procédure sans représentation obligatoire suit le chemin inverse, et la Cour de cassation fait preuve de la plus grande indulgence (v. aussi, pour l'effet dévolutif de la déclaration d'appel dans les procédures sans représentation obligatoire, Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-13.662, Dalloz actualité, 5 oct. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1680 ; ibid. 1795, chron. G. Guého, O. Talabardon, F. Jollec, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier ; AJ fam. 2021. 516, obs. F. Eudier ).
Est-ce pour mieux faire passer la rigueur imposée et pour démontrer que la Cour de cassation sait aussi faire preuve de bienveillance ?
Et il est vrai que cette solution, même si elle ne ressort pas des textes, était de bon sens.
Il aurait été sévère à l'égard d'un intimé irréprochable, qui a subi les légèretés de l'appelant, d'être sanctionné au seul motif qu'il n'a pas comparu à une audience alors qu'il n'était pas demandeur à ce renvoi qui ne profitait qu'à un appelant que l'on pourrait qualifier de négligent.
Ce n'est cependant pas la première fois que la Cour de cassation « lie » les deux audiences. La chambre sociale avait déjà admis que si l'appelant a comparu à la première audience « sa non-comparution à l'audience ultérieure à laquelle les débats sur le fond ont été renvoyés ne constituait pas une cause de caducité de la citation » (Soc. 13 janv. 1999, n° 96-45.301 P).
Et en pratique, ça donne quoi ?
Cet arrêt de cassation, publié, constitue certainement une communication intéressante pour la Cour de cassation à l'égard de laquelle les avocats ne sont pas toujours très tendres.
Il est vrai que depuis quelque temps, la profession, après avoir connu les réformes des décrets de 2009 (Décr. n° 2009-1524 du 9 déc. 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile, JO 11 déc.) et 2017 (Décr. n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, JO 10 mai), voire la réforme de 2016 pour la matière prud'homale (Décr. n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, JO 25 mai), se heurte à une jurisprudence qui rend la procédure d'appel extrêmement périlleuse, faisant ironiquement renaître de leurs cendres ces phénix que sont les avoués, disparus au motif qu'ils ne servaient à rien.
Au-delà de cette bienveillance, à quoi peut bien servir une telle jurisprudence alors que les procédures sans représentation obligatoire sont de moins en moins nombreuses, et le seront probablement encore moins si un jour les procédures en matière sociale finissent par déserter les articles 931 et suivants pour relever des articles 899 et suivants.
Mais il est un domaine dont l'archaïsme est remarquable et qui se tient tranquillement à l'écart des réformes. C'est celui de la procédure devant le premier président, même s'il est vrai qu'il a connu une avancée significative avec l'arrêté du 20 mai 2020 lui ouvrant la voie électronique jusqu'alors fermée (arr. du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, JO 21 mai 2020, NOR : JUST2002909A, art. 2).
Devant le premier président, en référé ou selon la procédure accélérée au fond, pas de représentation obligatoire, alors que le juge des référés du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce connaît désormais cette représentation obligatoire. Il est donc possible de saisir le premier président, sans être représenté par un avocat, pour lui demander l'autorisation de faire appel immédiat d'un jugement d'expertise ou de sursis à statuer, lequel appel sera formé par un avocat, ce qui est une absurdité procédurale.
Par ailleurs, il n'existe pas de dispense de présentation, alors que la procédure d'appel sans représentation obligatoire connaît cette dispense avec l'article 946.
Cet arrêt permet une relative évolution.
En effet, si l'affaire est évoquée devant le premier président, et fait l'objet d'un renvoi, il semblerait que la partie qui avait comparu à la première audience et qui avait soutenu oralement des conclusions, ou s'en était remise à ses conclusions, pourrait se dispenser de comparaître à l'audience de renvoi. Le premier président resterait saisi des écritures de la partie.
Cela étant, même s'il semblerait logique d'admettre une absence de comparution, il n'est pas certain qu'une partie prendra un tel risque.
En définitive, l'arrêt risque donc de rester très confidentiel, et de n'avoir qu'une portée très limitée, si ce n'est de montrer que pour les procédures sans représentation obligatoire, l'heure n'est pas à la rigueur.
Par Christophe Lhermitte
Civ. 2e, 3 févr. 2022, F-B, n° 20-18.715
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