Appréciation de l’« entreprise agricole » autorisant l’attribution préférentielle
Pour caractériser l’existence d’une entreprise agricole, condition de l’attribution préférentielle, il peut être tenu compte, d’une part, des terres appartenant au conjoint du demandeur et, d’autre part, des terres affermées, objet de la demande d’attribution préférentielle.
Une légataire à titre universel demande l’attribution préférentielle de terres agricoles qu’elle exploitait dès avant le décès de la testatrice en vertu d’un bail à ferme. Un autre successible lui oppose qu’un droit de bail ne caractérise pas une exploitation agricole, qui s’entend d’une unité économique constituée de terres, de bâtiments d’exploitation et d’habitation, de matériel et, le cas échéant, d’un cheptel.
La cour d’appel est insensible à cet argument et ordonne l’attribution préférentielle : les parcelles affermées étaient mises en valeur par la légataire et son époux dans le cadre de leur propre exploitation agricole, le tout formant une entreprise agricole. En outre, les intérêts en présence justifient cette attribution dès lors que la perte de ces terres mettrait en péril la continuité de l’exploitation agricole tandis que leur maintien permettrait de salarier le fils des exploitants.
Confirmation de la Cour de cassation. Si l’héritier qui demande l’attribution préférentielle d’un domaine rural doit avoir la qualité de copropriétaire, il peut toutefois être tenu compte, pour l’appréciation de la consistance de l’exploitation, des biens appartenant à son conjoint et formant, avec ceux dont cet héritier est copropriétaire, l’entreprise agricole exigée par la loi (C. civ. art. 831, al. 1 in limine). Au surplus, en prévoyant le cas où le demandeur à l’attribution préférentielle d’une entreprise agricole était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès d’une partie des biens la composant, ce texte n’a pas entendu exclure l’hypothèse où il bénéficierait d’un bail rural (C. civ. art. 831, al. 1 in fine).
À noter : L’attribution préférentielle suppose qu’elle ait pour objet une entreprise, dans cette affaire agricole, c’est-à-dire une unité économique (C. civ. art. 831, al. 1 et 832, al. 3 ancien). Si la mention expresse dans les textes de la notion d’unité économique a été abandonnée lors de la réforme des successions et des libéralités, nécessairement comprise dans la notion, depuis retenue, d’entreprise, la jurisprudence antérieure est transposable.
La Haute Juridiction opère alors un double rappel. Pour apprécier la consistance de l’entreprise agricole, il peut être tenu compte :
- des biens appartenant au conjoint de l’héritier demandeur et formant, avec ceux dont cet héritier est copropriétaire, l’unité économique exigée par la loi (Cass. 1e civ. 10-12-1980 no 79-13.059). En l’espèce, l’époux de la demanderesse exploitait des terres agricoles d’une superficie globale de 184 hectares dont 161 en qualité de propriétaire ;
- des biens pour lesquels le demandeur à l’attribution préférentielle dispose d’un bail rural (Cass. 1e civ. 18-5-2005 no 02-13.502 FS-PB). Par conséquent, dans cette affaire, il fallait bien prendre en considération les 23 hectares affermés au profit de la demanderesse.
Précisons que l’attributaire de l’entreprise remplissait bien la condition relative à la qualité de copartageant pour avoir été instituée légataire à titre universel (C. civ. art. 833, al. 2).
Source : Cass 1e civ. 23-3-2022 n°20-22.567
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